Le Mépris vu par Jean-Luc Godard
« J’ai gardé la matière principale et simplement transformé quelques détails en partant du principe que ce qui est filmé est automatiquement différent de ce qui est écrit, donc original. Il
n’est pas besoin de chercher à le rendre différent, à l’adapter en vue de l’écran, il n’est besoin
que de le filmer, tel quel : simplement filmer ce qui était écrit, à quelques détails près, car si le
cinéma n’était pas d’abord du film, il n’existerait pas. (…)
Le sujet du Mépris, ce sont des gens qui se regardent et se jugent, puis sont à leur tour
regardés et jugés par le cinéma, lequel est représenté par Fritz Lang jouant son propre rôle ; en
somme, la conscience du film, son honnêteté (J’ai tourné les plans de l’Odyssée qu’il a
tournés dans Le Mépris, mais puisque je joue le rôle de son assistant, Lang dira que ce sont
des plans tournés par sa deuxième équipe).
Quand j’y réfléchis bien, outre l’histoire psychologique d’une femme qui méprise son mari,
Le Mépris m’apparaît comme l’histoire de naufragés du monde occidental, des rescapés du
naufrage de la modernité, qui abordent un jour, à l’image des héros de Verne et de Stevenson,
sur une île déserte et mystérieuse, dont le mystère est inexorablement l’absence de mystère,
c’est-à-dire la vérité. Alors que l’Odyssée d’Ulysse était un phénomène physique, j’ai tourné
une odyssée morale : le regard de la caméra sur des personnages à la recherche d’Homère
remplaçant celui des dieux sur Ulysse et ses compagnons.
Film simple et sans mystère, film aristotélicien, débarrassé des apparences, Le Mépris prouve,
en 149 plans, que dans le cinéma comme dans la vie, il n’y a rien de secret, rien à élucider, il
n’y a qu’à vivre – et à filmer. »
Extrait d’un entretien paru dans Les Cahiers du cinéma, n°146, août 1963