Le corps félin et ennuyé d’une jeune fille s’environne de symboles chrétiens. Croix, images sulpiciennes, petits autels de figurines, sont déliés de leur signification religieuse pour tourner décoratifs. Mêlés à des jouets en plastique ou des photographies, ils composent des natures mortes profanes. Une messe observée à la dérobade par la fenêtre d’un rez-de-chaussée, comme un usage curieux, est interrompue par la pétarade d’une moto qui invite la jeune fille à l’escapade. Ce cadre religieux, souvent filmé en contrechamp des beaux visages d’un trio d’adolescents, fait alors place à une nature luxuriante qui les baigne en plan large. L’agilité de leurs jeunes corps y trouve le refuge idoine d’un manguier aux branches confortables. Mais à cet âge, la soif de sensations ne saurait se restreindre à un cadre familier. Le trio prend la route. Sans s’embarrasser de scories narratives, Héliconia offre un road trip sensuel et l’occasion de tableaux vivants faisant honneur au médium pellicule.
Le traitement matiériste de l’image fait danser le grain du 8 mm sur la peau lisse des adolescents et celle de l’heliconia, cette plante tropicale qui s’épanouit en guirlandes rouges, entrelaçant les surfaces pelliculaire, épidermique et végétale dans une trame contemplative. Qui semble dire que l’affaire de la jeunesse, plutôt qu’une quête religieuse du sens ou le discernement de la tendresse et du désir, est la poursuite d’un enchantement, à renouveler sans cesse, des formes et des sons. Et que le cinéma, lui, serait la quête d’une vision religieuse. Mais, au milieu du film, une séquence documentaire prosaïque griffe la texture soyeuse d’Heliconia. Elle y incise une coupure aussi soudaine que profonde, sorte de rappel à la cruauté qui défigure le tableau édénique, comme un coup de canif sur une peinture et bascule sa composition harmonieuse en colère sourde. Poussant plus loin leur exploration du pays, la jeune femme et les deux jeunes hommes se perdent dans la contemplation d’un désert ocre et sinueux dont la poussière idéale les incorpore… jusqu’à la disparition. S’évanouit avec eux l’image enfin saisie du paradis perdu. Ce premier film touché par la grâce porte la promesse d’autres enchantements. (C.L.)
Paula Rodríguez Polanco