Anna, c’est d’abord une jeune femme, alors toxicomane et enceinte, rencontrée piazza Navona à Rome un jour de janvier 1972 par Alberto Grifi, cinéaste de la scène underground et Massimo Sarchielli, acteur reconnu, qui en feront la matière de leur film Anna. Au fil de longues prises autorisées alors par la video, ils l’observent, la font re-jouer, la laissent improviser sa propre vie. Film-fleuve, œuvre phare des années 70, entre cinéma vérité et film politique et théorique, où Anna est plus leur objet qu’un sujet. Qui a été Anna ? Qui serait-elle aujourd’hui ? De quoi est-elle le nom ? Qu’aura-t-elle été ? Telle est l’enquête entreprise ici par Constanze Ruhm pour qui il s’agit d’interroger le film lui-même comme outil d’oppression de la jeune femme, d’examiner cette place assignée de «cobaye» et objet d’un «sadisme mal caché» du film comme Grifi l’a reconnu vingt ans plus tard. La matière pour Ruhm sera d’abord Anna revu à l’aune de ses chutes, images et sons, hors champ non retenus pour le film, son envers et ses non-dits, qu’elle retravaille, malaxe, scrute, répète, et qui hantent le film comme des fantômes obsédants. Ce pas de côté en appellera d’autres. Ainsi sont convoquées la piazza Navona revisitée comme scène politique d’une autre histoire, la voix de la Daphné d’Ovide traversant le film à la manière d’un choeur antique, un casting de jeunes femmes d’aujourd’hui comme autant de nymphes possibles. De proche en proche, se construit en écheveau serré un contrechamp de la place réservée aux femmes, des années 70 au temps présent, où résonnent des archives de luttes féministes remises en pleine lumière. Changement de point de vue donc, pour le portrait en creux d’une Anna dont la voix, tantôt réelle, tantôt nourrie de notes que la cinéaste lui prête pour l’occasion (les appunti du titre) nous guide, en miroir des combats de son temps comme du nôtre. Manière de la faire rentrer dans un autre cadre, à sa mesure, de lui rendre la parole et de lui donner un nom. (N.F.)
Présentation du film par la réalisatrice