Vou para casa

Manoel de Oliveira

Difficile de dire quelle histoire est la plus importante, entre celle de Gilbert Valence, l’acteur qui rentre à la maison au tournant de l’année 2000, et de celle de son origine. Commençons par la dernière. Vous saurez pourquoi à la fin du film. Vou Para Casa a été le deuxième des cinq rôles tenu par Michel Piccoli pour Manoel de Oliveira. Il aurait dû interpréter un autre personnage, Girolamo Cattaneo, le prêtre jésuite italien dans Palavra e Utopia, le film qui précède et dans lequel Oliveira s’est finalement consacré entièrement à la figure, si importante dans son cinéma, du prêtre António Vieira. Mais Piccoli décline ce rôle à la toute dernière minute. Le tournage déjà en marche, la production en panique invite alors pour le remplacer l’italien Renato de Carmine, qui accepte. Il avait à dire un très long texte qu’Oliveira, selon son habitude, voulait tourner en un seul plan fixe. De Carmine, sans temps de préparation, déjà âgé de 77 ans, se trompe plusieurs fois. Fatigué et humilié par cet incident, il décide de quitter le plateau pour un « ritorno a casa». Profondément ému par le désespoir de ce grand vétéran, le cinéaste le persuade de rester. De Carmine sera, d’ailleurs, extraordinaire dans le rôle de Cattaneo. Mais Oliveira n’a jamais oublié cet accident de tournage. À tel point qu’il décide d’en faire un film, son plus grand succès en France, Vou Para Casa, avec Piccoli – quelle ironie du destin ! – dans le rôle principal.
Accident ? Disons plutôt hasard, car c’est de hasards que ce film se construit et c’est grâce à eux que le destin se manifeste : la famille de Gilbert, femme, fille et gendre, volatilisés dans un accident automobile ; une paire de chaussures longtemps désirée, finalement achetée puis volée la nuit à Paris ; un gag digne de cinéma muet au café, où Le Monde s’installe entre Libération et Figaro ; le rôle de Buck Mulligan dans ce film impossible que serait Ulysse, adapté d’après Joyce. Et le temps du hasard qui ne cesse de couler, entre Le Roi se Meurt, la pièce où Piccoli joue Gilbert qui joue le roi d’Ionesco, et la scène de La Tempête de Shakespeare, où « nous sommes faits de la même étoffe que les rêves ». Ce temps-là, est-il le temps d’un homme qui apprend à mourir sous le regard de l’enfant qu’il désire être à nouveau ? C’est le cercle de l’éternel retour. Ceux qui ont vu ici le fi lm le plus léger d’Oliveira n’ont pas vu ce cercle, sa gravité, sa transcendance. Ni la « solitude ». (FF)

Fiche technique

ÉCRAN PARALLÈLE  / MANOEL DE OLIVEIRA FRÔLER L’ÉTERNITÉ

France, Portugal, 2001, Couleur, 90’

Version originale : Portugais
Scénario : Manoel de Oliveira d’après les oeuvres de James Joyce, William Shakespeare, Eugène Ionesco
Image : Sabine Lancelin
Montage : Valérie Loiseleux
Musique : Léo Ferré
Avec : Michel Piccoli, Catherine Deneuve
Production : Gémini films, Madragoa Filmes, France 2 Cinéma
Distribution : Gémini Films