Visita ou memórias e confissões

Manoel de Oliveira

Une maison de Porto, celle que Manoel de Oliveira a habité pendant 40 ans et qu’il a dû vendre pour payer des dettes, reçoit la visite de deux âmes errantes qui hésitent à y rentrer. Cette maison est déserte, disent-t-ils, jusqu’au moment où on les verra partir entourés de pénombre. Mais ce couple venu d’un texte magistral d’Agustina Bessa-Luís, ce couple caché derrière la caméra subjective qui traversera cette maison feuillue et ses jardins, n’a pas sans doute vu ce qu’on y voit. Ils ne voient pas les mémoires du titre, qu’ils ne sont pas moins fantomatiques et appellent souvent d’autres films, albums de famille – une maison cinéma. Ils ne voient pas non plus les confessions, qu’a volontairement désigné de posthume ce «film de Manoel de Oliveira sur Manoel de Oliveira à propos d’une maison (…), ce film à moi sur moi-même », tourné dans des conditions aussi particulières que secrètes juste après Francisca, entre la fin de 1981 et une partie de 1982. Il y a un autre fantôme dans ce film dans cette maison hantée et déjà perdue, que ce couple ne voit jamais mais que nous, nous voyons. C’est Oliveira lui-même, qui joue son rôle et se met en scène (souvent à côté d’un portrait de Mona Lisa) – en même temps qu’une chose précieuse, la réalité de sa vie. Une « réalité sans subterfuges », la façon dont il s’adresse à sa femme et compagne de toujours, Maria Isabel. Et pourtant, ne restons-nous pas éloignés du film autobiographique si commun aujourd’hui, quand Oliveira nous rappelle que « la fiction c’est la seule réalité du cinéma » ? Méditation sur l’édifice humain d’une oeuvre aussi solide que le grand arbre du début du film (« sauver le monde, accepter le Ciel, attendre le divin, conduire les hommes… »). Méditation sur les artifices du cinéma et l’acte-même de filmer qui retourne aux origines (un studio de cinéma) et nous laisse devant la toile blanche. Il y a tant à dire de ce dernier cadeau, Visita ou Memórias e Confissões.
Disons qu’il est le plus fort bouleversement de temps jamais opéré par Oliveira et que, trois mois juste après sa mort, on ne peut le voir sans une extrême commotion. Sur son temps, Oliveira a toujours été en avance. Même dans le film qu’au temps il a donné et que seul les caprices de celui-ci ont décidé de rendre visible. (FF)

Fiche technique

ÉCRAN PARALLÈLE  / MANOEL DE OLIVEIRA FRÔLER L’ÉTERNITÉ

Portugal, 1982, Couleur, 35mm, Mono, 73’

Version originale : Portugais
Scénario : Manoel de Oliveira, d’Augustina Bessa-Luís
Image : Elso Roque
Montage : Manoel de Oliveira, Ana Luisa
Son : Joaquim Pinto