Rafael Palacio Illingworth
La vie commence, la vie se termine. Voilà un titre aussi lapidaire qu’il relève d’une loi naturelle ôtant au malheur familial tout son caractère tragique. La mort est un drame privé. Comment restituer l’horreur de son irrationalité ? Rafael Palacio Illingworth est le réalisateur de plusieurs comédies dramatiques dont Between Us (2016) et Macho (2009). Il signe ici un long métrage aussi intime qu’ouvert et généreux à partir du drame qui a bouleversé sa propre vie. Mais c’est en tramant avec le récit d’une fiction la matière intime récoltée au fil du temps qu’il déborde le cadre autobiographique et ne cesse de jouer avec ses
codes. Rafael Palacio Illingworth se construit un alter ego, un doppelgänger et une famille en miroir. Aux images d’un bonheur lumineux et quotidien répond un récit fragmentaire qui concentre une descente aux enfers et auquel est confiée l’exposition de la douleur. Il est un rôle donné à la fiction : sauver les images de ce bonheur. Les conserver indemnes, érigées en souvenirs dans leur grâce pleine et entière. A la brutalité sourde du réel peut se substituer la mise en scène de son spectacle. Ici, le corps du réalisateur doit tenir. Face à la maladie. Contre le désespoir. Là, le corps de son personnage, un gaucho des plaines d’Argentine, s’inflige la violence d’un monde devenu insupportable et consacre l’espace fictionnel comme catharsis.
Intriquant différents régimes en trois mouvements, Rafael Palacio Illingworth opère courageusement une mise à nue à plusieurs niveaux. Le dédoublement devient dialogue. S’il met en scène sa propre famille, c’est pour mieux dévoiler les coutures du drame en tant que genre, en proposant un système de conversation entre la fiction et les ressorts de sa fabrique : sources d’inspiration, partition musicale, personnages et motifs, acmé et points d’orgue… Ce qui s’expose alors n’est pas tant l’évidence de la tragédie que le mariage vital de l’art et de la vie.
(Claire Lasolle)