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LUMBRE
EMBERS

Santiago Mohar Volkow

Un, deux, trois – soleil ! Tandis que des hommes brûlent du foin dans un champ, des enfants se tiennent droits dans le paysage. Le fracas d’une balle retentit. Le visage d’une femme apparaît dans le bleu du ciel. Un enfant se retrouve à terre. Voici la scène d’exposition de Lumbre, tragédie à partir de laquelle une polyphonie va se dérouler, en quatre mouvements. Sur le modèle de la fugue musicale, l’élément initial – la mort accidentelle – contient en puissance la structure de l’œuvre qui va se déployer en s’amplifiant, à l’image des cercles concentriques qui annoncent chacun des fragments. En fin typographe, Santiago Mohar Volkow crée le décor minutieux de son film dès l’ouverture. Puis, c’est sans s’encombrer de mots, dans un montage elliptique qu’il trouve la mélodie de cet essai sur le deuil, dans un jeu de miroirs et de fragments. De ce drame à peine esquissé naissent des rencontres : celle d’un homme et d’une jeune femme aux funérailles de l’enfant ; de la musique – celle du film que l’on voit composée dans l’intimité d’un studio ; des images. Portraitiste,
Santiago Mohar Volkow fixe en 35 mm une sublime collection de visages endeuillés, parmi lesquels cette jeune femme au carré brun qui, entre deux regards lancés vers celui qui deviendra son amant, offre à la caméra un regard d’une rare beauté. Au beau milieu de cette variation, viennent s’immiscer des images d’archives de familles posant devant des cadavres d’enfants, suivie d’une séquence documentaire au crématorium qui vient trouer la fiction et ramener la mort à ses rituels connus. Le feu, leitmotiv du film, resurgit par vagues – au détour d’une scène d’amour, par le crépitement d’une cigarette – et se fait image de la transition. Des phares viennent percer l’obscurité de la nuit, un cortège de vélos donne son mouvement final à la fugue. Lumbre : ou la possibilité de la vie depuis la mort. (Louise Martin-Papasian)

Entretien avec Santiago Mohar Volkow

Lumbre est un film extrêmement libre, en constante évolution, et qui se caractérise par le recours à des registres cinématographiques différents. Quel était le point de départ ?
Le point de départ du film était une série d’images indépendantes les unes des autres que j’avais envie de filmer. C’est plus tard que le lien entre elles m’est apparu et que j’ai compris que, d’une certaine manière, elles s’articulaient toutes autour de l’idée de la mort. Donc je considère le film comme un essai kaléidoscopique sur la mort, où les changements de styles et de tonalités sont consubstantiels au changement de perspective sur le sujet et à l’évolution du récit.

Le film est tourné en 35 mn. Pourquoi ?
Au départ, ce qui a rendu le film possible, c’est le geste généreux d’un des producteurs, qui m’a fait cadeau d’un carton contenant 30 boîtes de pellicule 35 mm arrivées à expiration. Cela m’a donné une excuse pour me lancer dans ce projet. Une fois en possession de ce stock de pellicule, j’ai su que je voulais tirer profit de la beauté de ce format et filmer toutes ces images d’aspect pictural que j’avais en tête. Je ne savais guère ce qui les reliait, mais j’étais certain que le processus du tournage finirait par me le révéler.

Comme le générique le suggère, le film semble adopter une structure de nature musicale, divisée en quatre parties, ou plutôt mouvements, lesquels sont précédés par une ouverture. Comment avez-vous conçu le script ? Et pouvez-vous nous en dire davantage sur la logique qui sous-tend la structure et le montage des séquences ?
En effet, pour moi la structure narrative du film est conçue comme une fugue musicale. Puisque le point de départ est l’assemblage d’images distinctes, j’ai appréhendé ces dernières comme des mélodies indépendantes qui s’enchevêtrent à mesure que le film avance. J’avais donc le couple, les enfants, la mère, etc., et je savais qu’avec la juxtaposition radicale de ces « mélodies », les liens dissimulés deviendraient apparents et, par voie de conséquence, une « nouvelle mélodie » verrait le jour. Pendant le tournage, c’était une affaire d’intuition, et plus tard pendant le montage, il s’agissait d’un processus bien plus rationnel, où nous sommes restés fidèles à des logiques plus conventionnelles de structure narrative.

Les événements sont à peine mentionnés, ils sont souvent relégués à l’arrière-plan ou hors-champ, quand ils ne font pas l’objet d’ellipses temporelles. En revanche, vous mettez vraiment l’accent sur les corps, notamment les visages et les mains. Quelles sont les idées et les intuitions avez-vous conçu l’image?
Comme je vous le disais, j’étais moins intéressé par l’idée de raconter une histoire cohérente que de tout simplement filmer une collection d’images très spécifiques que j’avais à l’esprit. Beaucoup de ces images sont des portraits de gens que je connais. Toutes les personnes qui apparaissent dans le film sont soit des membres de ma famille, soit des amis très proches. Leurs visages ont un sens profond pour moi et j’avais bon espoir que, vues sous une certaine lumière, ces images elles-mêmes suffiraient à exprimer ce dont l’histoire qui se façonnait dans la salle montage avait besoin. Si les événements sont souvent relégués à l’arrière-plan ou hors-champ, c’est précisément parce que je pense qu’un visage ou un paysage sont souvent une description plus appropriée de ma perception des événements plutôt que des événements en tant que tels.

En plus des silhouettes humaines, une attention particulière est portée aux paysages, qui sont très mouvants, oscillant entre l’urbain et le rural. Comment avez-vous travaillé cet aspect et comment avez-vous choisi les différents lieux du film ?
A l’instar des gens qui sont dépeints dans le film, la plupart des lieux sont des endroits que je connais bien. Il y avait des endroits, des lumières précises que je voulais filmer, comme par exemple la maison de ma mère l’après-midi, où l’on découvre la plupart des portraits, ou encore la ville la nuit. Certaines activités, comme l’écobuage, sont des choses que j’ai toujours vues à la campagne, et je les ai filmées sans savoir qu’au final, elles seraient une métaphore cruciale pour résumer les cycles que le film essaie de dépeindre. D’autres lieux m’avaient toujours intrigué, sans que je ne m’y sois rendu. Le crématorium par exemple, cet endroit où la mort devient présente d’une manière si concrète qu’elle en perd toute forme de mysticisme. Et donc filmer cela était une manière de découvrir cette réalité.

Le film est ponctué d’éléments qui réapparaissent et fonctionnent comme un lien subtil entre les séquences. On pense au feu, qui devient une sorte de leitmotiv, et qui donne d’ailleurs son titre au film. Qu’est-ce qui vous a amené à prendre cette décision et qu’est-ce que « Lumbre » représente pour vous ?
In fine, le film parle de la mort et du fait de mourir. Lumbre, qui ne veut pas exactement dire « feu », se traduirait mieux en français par « braises » ou « ember » en anglais, c’est-à-dire un état transitoire dans l’action de brûler, tout comme la vie est un état transitoire vers la mort. Cela peut paraître lugubre, mais c’est également excitant et beau. Je pense que c’est ce que montre le film sous des lumières diverses.

Propos recueillis par Marco Cipollini

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Fiche technique

Mexique / 2021 / 40’

Version originale : espagnol.
Sous-titres : anglais.
Scénario : Santiago Mohar.
Image : Flavia Martinez.
Montage : Analía Goethals.
Musique : Diego Lozano .
Son : Enrique Dominguez.
Avec : Valeria Salas , Raymundo Romero , Ignacio Beteta.
Production : Santiago Mohar (Laredo 17), Juan Sarquis Bello (Filmaciones de la Ciudad), Santiago De la Paz Nicolau (Nomadas).
Filmographie : Sisifos, 2020. Los Muertos, 2015.