Si la dénommée « conquête du Chaco » a pris fin au début du XXème siècle, elle perdure aujourd’hui sous des formes dissimulées. C’est de ces tentatives de soumission au présent et des résistances qui s’y opposent, que s’empare ici Daniela Seggiaro, originaire de cette région. Husek décrit une lutte. D’un côté, un projet immobilier porté par le gouvernement local. De l’autre, la communauté Wichí, qui le refuse, ne souhaitant rien changer de son mode de vie. Entre le marteau et l’enclume, Ana, jeune architecte en charge du projet, se retrouve isolée, en proie à un conflit intérieur face à des intérêts qui la dépassent. Daniela Seggiaro organise avec habileté l’antagonisme de deux mondes, de deux espaces, de deux systèmes de croyances, dans un film aux accents surnaturels. La langue est le terrain d’expression de cette dualité autant que d’une définitive altérité. La réalisatrice s’émancipe en effet d’une traduction systématique du Wichí Lhamtés, langue dans laquelle répond parfois Lionel, jeune Wichí, à Ana, incapable de le comprendre. Et lui-même entre deux langages, le film invente avec audace son propre régime. Il assume une généreuse amplitude documentaire qui restitue avec fidélité l’esprit de la communauté. En s’autorisant de réjouissantes embardées fictionnelles destinées à décortiquer les rouages d’un système de pouvoir et de violences : celui des promoteurs blancs sur la communauté Wichí, celui de la hiérarchie qui pèse sur Ana. Celui, enfin, des hommes qui l’entourent. Husek est un film qui prend son temps, à l’image de la tranquillité lucide et combative des Wichí. Eux ne cèdent rien aux méthodes d’un monde où priment l’efficacité et la conquête. Et leur donnant raison, c’est à eux que la réalisatrice confie sa dernière scène, loin des fureurs immobilières. Assises au bord du fleuve, les moqueries des femmes caressent le corps des hommes qui pêchent. Promoteurs et grands destructeurs ne peuvent alors que se soumettre devant la grâce et l’harmonie de ce morceau d’éternité, emporté par les flots, que nous offre Daniela Seggiaro.
(Louise Martin-Papasian & Claire Lasolle)