Retourner sur les traces de ses ancêtres, questionner son identité à travers l’histoire de son père, voici la tâche délicate à laquelle s’attèle Erika Etangsalé dans son premier long-métrage. Tourné entre l’île de la Réunion et Mâcon, Lèv la tèt dann fénwar tresse une histoire de silence, de rêves obscurs, de douleurs mystérieuses et de violence sourde. Silence. Celui d’un père, qui n’a jamais parlé des traumatismes de l’exil et de l’arrivée en métropole. Douleur. Celle que partagent le père et la fille, au centre du corps, sans pouvoir s’en débarrasser. Violence. Celle de la politique migratoire française des années 1960-1980 portée par le Bumidom1.
Offrant chair à cette histoire, Erika Etangsalé noue avec tact et pudeur sa voix à celle de son père qui, dans un récit toujours contenu, revient sur son « aller sans retour » vers la métropole, où il a vu ses aspirations rattrapées par la réalité hexagonale. Entre les séquences en couleur d’une province française, morne et mélancolique, les très belles images en noir et blanc des majestueux cirques volcaniques réunionnais redonnent vie aux « marrons », ces esclaves en fuite. D’un passé proche à un passé plus lointain, il y a peu, et c’est en creusant le mutisme de son père qu’Erika Etangsalé fait émerger une parole qui rappelle, tout en demi-teinte et en chuchotements, la mémoire de l’esclavage ainsi que les relents colonialistes d’une politique pas si lointaine, restée dans l’angle mort de l’histoire française.
(Louise Martin-Papasian)