Francisca

Manoel de Oliveira

Les amours funestes, les femmes vierges et insaisissables, les hommes sombres, égoïstes, qui les regardent – et ce regard, toujours impuissant. Tout cela n’est pas vraiment nouveau chez Manoel de Oliveira quand il décide de tourner Francisca (1981), une adaptation de Fanny Owen, publié deux ans avant. Et pourtant, jamais ces éléments n’ont trouvé le même degré d’épuration et de complexité. Depuis ce bal masqué qui ouvre le film, et à l’inverse de l’aventure narrative extrême de Amor de Perdição, ce sont les intertitres de Francisca qui déplacent l’action et font avancer le temps. Deux amis à un moment donné très proches, José Augusto et Camilo Castelo Branco (l’auteur de Amor de Perdição), vont aimer la même femme, Fanny (alias Francisca), d’un amour très différent. Personne ne saura pourquoi le premier, qui l’épousera, n’a jamais voulu consommer le mariage. Car il ne la désirait qu’à travers son ami et rival ?
Certes, ce désir et cette passion ont eu besoin d’un triangle infernal pour se dévorer dans une alliance de mort. Certes, « l’âme n’est pas une chaise qu’on offre à une visite. L’âme est… un vice », dira Fanny. Elle mourra en août 1854, José Augusto en septembre : leur histoire a été bien réelle et racontée par Camilo, alors âgé de 29 ans. Sommet absolu de l’art de Oliveira, Francisca est un film de premières rencontres : avec l’immense Agustina, écrivain volcanique « dont les paroles viennent des confins de la Terre et de la mémoire» – m’a un jour dit Oliveira ; avec le débutant Paulo Branco, qui produira vingt long métrages du cinéaste jusqu’à 2005 ; avec Diogo Dória (José Augusto), un des acteurs qui lui était le plus cher.
Au Portugal, le film rencontrera un succès jamais vu, et resté depuis inégalé. À 73 ans, Oliveira demandera ensuite un appui spécial pour tourner un film de mémoires qui ne serait montré qu’après sa mort. Ni lui, ni personne ne pouvaient deviner que son œuvre n’avait pas même fait la moitié de son chemin.
(FF)

Fiche technique

ÉCRAN PARALLÈLE  / MANOEL DE OLIVEIRA FRÔLER L’ÉTERNITÉ

Portugal, 1981, Couleur, 35mm, Mono, 166’

Version originale : Portugais
Scénario : Manoel de Oliveira d’après le roman d’Augustina Bessa-Luís
Image : Elso Roque
Montage : Monique Rutler
Musique : Jáo Paes
Son : Jean-Paul Mugel
Avec : Teresa Meneses, Diogo Dória, Mário Barroso
Production : Paulo Branco, V.O. Filmes.