A caça suivi de Benilde ou a virgem mãe

Manoel de Oliveira

Programmer, c’est prendre des risques et, dans le cas d’Oliveira, risquer sa tête. À mesure qu’on plonge dans la totalité de cette œuvre si dense, mille et une idées différentes viennent à l’esprit. Paradoxalement, on pourrait jurer qu’il n’y a pas de cinéaste plus difficile ni plus passionnant à programmer, tant chaque film s’ouvre au monde et se complète par lui-même. C’est Manoel de Oliveira qui l’a dit, dans le livre d’entretien avec Jacques Parsi et Antoine de Baecque : « j’ai une déontologie pour le cinéma et général et pour chaque film en particulier. » De ces mille et une idées, celle qui désignerait A Caça comme le présage d’une fatalité à venir dans cette oeuvre ne semblait pas la plus déplacée. Projet antérieur à Acto da Primavera mais seulement achevé après celui-ci, cette même année de 1963, A Caça est le seul film de Oliveira inspiré d’un fait divers, concernant deux garçons, appelés par le cinéaste José et Roberto. L’un d’eux s’était noyé dans un marécage devant l’autre qui, mort de peur, s’est enfui sans l’aider. Acto da Primavera et A Caça ont tous les deux été inquiétés par la censure de l’époque qui a même vu dans le marécage l’effondrement du régime fasciste, imposant à Oliveira un happy end qui sauve José. Par sa conception « plus symbolique que réelle » souligné par une bande son d’une importance capitale, dès la première séquence (l’attaque du poulailler par le renard) à l’absurde chaine humaine qui essaie de sauver le garçon à la fin (« la main, la main ! », crie le manchot qui ne l’a pas), voici un film où, d’une menace à l’autre (le fusil du chasseur, la statue de l’aigle, l’abattoir du père de Roberto), l’ordinaire et le fantastique chevauchent ensemble vers le même destin – où la mort ronde, implacable. En 1988, Oliveira remonte ce petit chef d’œuvre pour le Festival de Pesaro, lui rendant le dénouement qu’il a toujours voulu, mais les copies 35mm qui circulent depuis gardent aussi, en guise d’épilogue, la fin imposée par la censure. Dans les deux, le même dernier plan: un chien qui aboie furieusement face à la caméra. La censure n’a pas reconnu dans cet écho, le bruit et la fureur de sa liberté.
(FF)

Fiche technique

ÉCRAN PARALLÈLE  / MANOEL DE OLIVEIRA FRÔLER L’ÉTERNITÉ

Portugal, 1975, Couleur, 35mm, Mono, 112’

Version originale : Portugais
Scénario : Manoel de Oliveira d’après la pièce de José Régio
Image : Elso Roque
Montage : Manoel de Oliveira
Avec : Maria Amelia Aranda, Jorge Rola, Gloria de Matos
Production : Tóbis Portuguesa et Centro Português de Cinema