Casting pour le rôle principal du dernier long métrage de Thierry de Peretti, Une Vie Violente : des jeunes hommes corses témoignent face caméra du rapport qu’ils entretiennent avec leur île, son passé et son présent. À travers les mots se dessine le portrait de toute une génération, entre tentation du nationalisme et rêves d’un nouveau départ, ailleurs. (V.P.)
- 2017
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Lutte jeunesse
Thierry de Peretti
Entretien avec Thierry de Peretti au sujet de LUTTE JEUNESSE et UNE VIE VIOLENTE paru dans le quotidien du FIDMarseille du 15 juillet 2017
Que cherchiez-vous à travers ces jeunes acteurs corses qui, s’ils sont non-professionnels, ont connu de près les affres du nationalisme ?
Le personnage principal d’Une Vie violente, Stéphane, fait l’expérience de la radicalité politique, de la lutte armée. On peut dire qu’il « passe par là », comme Rimbaud passait par la poésie, avant de repartir ailleurs. Stéphane n’aura pas le temps de se réinventer ailleurs et autrement, mais il ne serait pas resté coincé là. Il aurait renoncé à être le héros qu’il souhaite être. C’est ce passage, son expérience avec « ça » que le film met en scène et enregistre. Mais ce n’est qu’un des éléments, qu’un des sujets du film. Et puis le nationalisme, la politique en Corse, ce ne sont pas que des « affres », mais aussi une idée, à laquelle on souscrit ou non. Il y a une politisation certaine de la société, qui n’est pas de même nature que sur le territoire français. C’est aussi ce qu’essaye de montrer Lutte Jeunesse, qui est pour moi comme une autre version d’Une Vie violente. Les jeunes gens du film sont tous, de manière plus ou moins consciente, plus ou moins personnelle, très au fait de ce qui se passe ou ce qui s’est passé sur l’Île. Même ceux qui ne se sentent que peu d’intérêt avec la politique, ne peuvent s’en extraire totalement. On les voit chacun s’exprimer avec une sorte de lucidité douce et triste qui me touche et que je reconnais bien. Cette lucidité, cette réflexion même, qu’on sent chez tous, elle va au delà de la question nationaliste ou même politique.
Leurs propos semblent refléter les contradictions vécues par Stéphane dans le film ?
Lutte Jeunesse, a été assemblé par Lucas Vittori, qui joue aussi le jeune berger condamné d’Une Vie violente, pendant le montage d’Une Vie violente, à un moment où on avait du mal à faire émerger le film. En me replongeant dans les entretiens que Julie Allione, la directrice de casting, avait menés, j’avais l’impression que ce que la fiction ne me permettait pas de toucher aussi précisément que je le voulais. Pour le dire vite : un rapport à la parole et au contemporain. L’envie de monter ensemble certains de ces entretiens, de les faire résonner, m’a libéré du côté de la fiction. C’est cette dimension « document » dont j’avais besoin. Et une fois qu’il était posé, je pouvais m’affranchir de la volonté de tout dire, de tout montrer avec la fiction. On peut dire qu’il y a plein de Stéphane différents dans ce film. D’une certaine façon, tous les jeunes hommes de Lutte Jeunesse auraient pu l’incarner et faire vibrer un aspect ou un autre de sa personnalité. La somme de tous ces jeunes gens constitue un portrait de coupe de la jeunesse, masculine, insulaire aujourd’hui Ça rend selon moi assez bien compte de sa complexité, de son irréductibilité. Quant à Stéphane, ce sont les ambiguïtés du milieu dans lequel il évolue qui sont problématiques, plus que les siennes. Sa lutte, ce qui chez lui fait conflit, c’est d’être jeune homme de son temps et de choisir un milieu conservateur et même archaïque. Il va le payer cher.
Votre film déjoue les attentes et s’éloigne d’une part des poncifs du « film d’ascension », au sein d’une hiérarchie, mais aussi du « film sur un milieu », ici le milieu nationaliste corse. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je n’ai pas cherché à déjouer, ou à adhérer. Je ne me pose pas les questions du genre. Je ne suis pas assez rigoureux pour me tenir à une seule idée. Et puis ce qui est mon obsession, c’est plutôt d’attraper quelque chose d’une époque et d’une société. La structure idéale c’est celle de L’Idiot de Dostoïveski : le personnage nous fait pénétrer les différents cercles et milieu de la société de Saint-Pétersbourg. C’est très grisant de sentir cette variété, ce monde en mouvement, son énergie.
Comment s’est posée la question de la représentation de la violence au sein d’un contexte terroriste et mafieux ?
La violence dans le film ne se ressent ou ne s’exprime pas seulement lors des scènes directement violentes. Il en est question à tout moment dans le film. C’est par la parole que ça passe, que quelque chose se noue, à la fois sous nos yeux et sans qu’on s’en rende compte. Les scènes dites de violence, sont brutes, crues et lentes. Faussement réalistes en fait. Elles sont traumatisantes, parce qu’en tant que spectateur, on ne nous dit pas où regarder, ni comment la vivre. Il faut se démerder avec ça.
Pouvez-vous nous parler de la notion principale qui parcourt le film, celle de l’engagement ?
À un moment dans le film, Stéphane qui essaye de convaincre ses amis de rentrer avec lui au sein de la structure clandestine qu’il vient d’intégrer, dit à l’un d’entre eux : « Aujourd’hui, qu’est-ce que tu faire de mieux dans ta vie que de te battre pour ton île et pour ton peuple? ». Ça à l’air imparable comme ça. Et d’ailleurs, la question qui n’en est pas une, reste sans réponse. Je suis, de mon côté, plus mesuré, réservé avec cette idée qu’il faille absolument être investi dans une lutte ou bien traversé par une cause qui nous dépasse. Je crois aujourd’hui en d’autres choses, moins volontaires. Je crois en des forces plus mystérieuses, douces et profondes. Les questions d’identité ne m’intéressent pas. La nation, la patrie, tout ça, je n’y crois pas. C’est fini. Quant à la question de la résistance, de la réparation des humiliations subies, oui j’y suis très sensible.
Il semblerait que vous ayez attendu de passer à la réalisation pour évoquer votre île natale. Quel rapport entretenez-vous aujourd’hui avec l’histoire corse ?
Avec l’histoire, je ne sais pas vraiment. J’ai un rapport assez intime aux évènements, je relie tout de manière à ce qu’un récit naisse dans mon esprit. Les personnes et la façon dont ils vivent ou dont ils sont traversés par ces évènements, m’intéressent plus que l’Histoire, que ses soubresauts. La Corse est un des territoires les plus contemporains, les plus forts que je connaisse. Un réservoir de fiction inépuisable. Mais la réalité est souvent dure à vivre, à supporter. Je ne crois pas que je pourrais y faire tous mes films.
Propos recueillis par Vincent Poli
Fiche technique
ÉCRAN PARALLÈLE - HISTOIRES DE PORTRAIT
France 2017 Couleur HDV, Stéréo 58’
Version originale : français.
Scénario : Thierry de Peretti.
Image : Julie Allione.
Montage : Lucas Vittori.
Son : Julie Allione.
Avec : Jeremy Zanini, Flavio Dominici, Jean-Pierre Simeoni, Simon Demuru, Nicolas Longhi, Francescu Sandri, Jerome Luciani, Marc Ottavi, Sylvain Ceccaldi, Vincent Albertini, Loumir Orsoni, Alexis Mattei, Cedric Alessandri, Théo Frimigacci, Ghjacumu Santucci, Guillaume Amadeï, Fabien Sauvaire, Kevin Moretti, Eric Sabatini.
Production : Jean-Etienne Brat (Stanley White), Frédéric Jouve (Les Films Velvet).
Distribution : Stanley White.
Filmographie : Une Vie Violente, 2017, Les Apaches, 2013, Sleepwalkers, 2011, Le jour de ma mort, 2006.