• Compétition Internationale

Baronesa

Juliana Antunes

Dans la périphérie de Belo Horizonte, au Brésil, les favelas portent des noms de femmes. C’est dans le quartier de Juliana que la réalisatrice et son équipe presque entièrement féminine s’installent pour filmer deux amies, Leidiane et Andreia, au moment où cette dernière se prépare à quitter Juliana pour sa voisine éponyme, Baronesa. Loin de toute entreprise sociologique, Juliana Antunes nous montre la favela comme on a rarement l’occasion de la voir : du côté des femmes, dans les arrière-cours des maisons de fortune que quelques murets et plaques de tôle isolent d’une guerre des gangs jamais montrée mais dont la violence imprègne le quotidien comme le destin des protagonistes. Dépouillement absolu du décor, simplicité apparente des cadres, de la mise en scène et du montage – qui ne se privent pas des outils de la fiction, tout est discrètement et subtilement conçu pour laisser la parole se déployer. La drogue, la violence, le sexe, l’amour, l’amitié, la mort, on parle de tout. Au fil des séquences, de bavardages pas si anodins en confessions bouleversantes, au gré d’ellipses dans lesquelles s’infiltre la violence des vies qui nous sont dévoilées et au risque des balles perdues, la beauté rude d’Andreia et Leidina se fait jour. Les gros durs ne sont pas toujours ceux qu’on croit … Ici, les hommes sont des petits garçons, tandis que les personnages féminins accèdent en un geste cinématographique plus complexe qu’il n’y paraît à un portrait tout en contrastes dont elles sont d’habitude privées à l’écran. (CG)

Baronesa est votre tout premier film. Comment est né ce projet ?
L’idée de départ est venue d’un petit exercice d’observation auquel je me suis adonnée après avoir emménagé à Belo Horizonte, la capitale de l’État du Brésil dont je suis originaire. De nombreux bus de la ville portaient des noms de femmes sur le panneau indiquant leur destination, la plupart quittaient le centre-ville pour rejoindre la banlieue ou des petites villes en périphérie de la métropole. Par curiosité, j’ai commencé à dresser une liste de ces destinations, et j’ai ainsi découvert une trentaine de quartiers portant des noms de femmes. Je me suis mise à les visiter et à essayer de rencontrer des femmes qui vivaient dans ces quartiers à l’écart de la ville. Comme j’en croisais assez peu dans la rue ou dans les petits commerces locaux, j’ai eu du mal à trouver des actrices ou des sujets potentiels. J’ai donc décidé d’installer des affiches un peu partout pour trouver des femmes prêtes à me parler de leur vie. Quand j’en ai collé une près d’un institut de beauté, mon téléphone a commencé à sonner. De ces premiers contacts est né le « dispositif » de ma recherche : trouver des femmes qui travaillaient dans des salons de beauté ou qui s’y rendaient comme clientes.

Comment avez-vous rencontré Leid et Andreia, les protagonistes du film ? Comment vous ont-elles reçue ?
J’ai commencé à fréquenter un salon de beauté du quartier de Juliana, tous les weekends pendant un an. J’ai choisi ce salon en particulier pour ses clientes et pour l’accueil chaleureux de ses propriétaires. Durant l’une de ces visites de recherche, alors que j’avais déjà commencé à filmer certaines personnes, Andreia est entrée dans l’institut, en ignorant royalement notre équipe de tournage, et elle a tout de suite retenu mon attention. Son attitude m’a poussée à changer la direction du projet, qui a fini par se concentrer entièrement sur elle, alors qu’elle n’avait pourtant aucune envie d’être filmée et qu’elle se cachait quand nous la cherchions ! J’ai donc décidé de m’installer avec une petite équipe dans le quartier et nous avons passé deux semaines à filmer les propriétaires du salon de beauté où Andreia se rendait, jusqu’à ce qu’elle finisse par nous accorder une « première scène ». J’ai utilisé cette scène, celle où on la voit découper des légumes, pour lui montrer notre travail, nous sommes devenus plus présents dans l’espace qu’elle partageait avec ses proches et Andreia a finalement accepté de participer au projet, mais sous certaines conditions : pour pouvoir filmer, il fallait que je m’installe près de chez elle, et nous ne pouvions tourner que deux jours par semaine, le mardi et le jeudi, de 14h à 16h. Je me suis donc installée toute seule dans la Vila Mariquinha, une favela du quartier de Juliana, pour faire plus ample connaissance avec Andreia et pour la filmer pendant six mois. Mon emménagement a coïncidé avec une série de règlements de compte meurtriers entre dealers du quartier, ce qui a encore modifié la direction du projet. À cause des fusillades et des autres complications liées à cette guerre des gangs, les habitants restaient davantage à l’intérieur des maisons. C’est ainsi que Leid, la belle-soeur d’Andreia, est venue lui rendre visite plus fréquemment, et qu’elle est par conséquent devenue un personnage à part entière du film.

Il y a dans le film une grande mélancolie, insufflée par de petits détails, mais aussi une énergie fascinante que l’on n’a pas l’habitude de voir dans les représentations des favelas à l’écran. Comment êtes-vous parvenue à cet équilibre ?
Cette « énergie » est souvent la réponse des favelas au peu de services publics et autres installations que le gouvernement veut bien leur fournir : l’électricité est rare, l’eau est saisonnière, et les maisons sont construites de façon anarchique. La vie est violente mais elle est aussi docile ; elle est cynique, mais aussi mélancolique. Tous ces aspects influent sur la façon dont les habitants supportent leur quotidien. Pour être capable de saisir cette énergie, il fallait d’abord que je me familiarise avec ces réactions et à ces conditions de vie. Parfois, je demandais à une actrice de rejouer certaines situations dont on m’avait parlé, d’autres fois j’attendais qu’elles se produisent naturellement.

N’était-ce pas difficile de réaliser un film de femmes dans un environnement pareil ?
C’était le plus grand défi du film. Les maris, beaux-frères, frères et cousins des femmes que j’ai choisi de filmer étaient tous, sans exception, opposés au projet. Même les hommes que nous croisions dans les rues, les bars ou dans d’autres quartiers refusaient d’apparaître dans le film. Les boycotts et les menaces étaient notre lot quotidien. Durant le tournage, j’ai perdu de nombreux personnages à cause de ces interdictions. Le mari d’Andreia est chauffeur poids lourd, il ne rentrait à la maison que le week-end, c’est pourquoi nous ne filmions jamais le weekend. Le mari de Leid était en prison. En fin de compte, le film n’a été rendu possible que par leur absence, et par notre volonté de nous opposer coûte que coûte à ce système patriarcal en montrant la force de ces femmes.

Vous avez monté le film avec Affonso Uchoa, qui est aussi au FID cette année pour montrer son film Araby. Comment est née votre collaboration ? Pouvez-vous nous parler de votre méthode de travail ?
J’ai rencontré Affonso à l’occasion d’un festival : il était venu montrer son deuxième film, The Hidden Tigger, et je faisais partie d’un jury d’étudiants. À cette époque, je faisais déjà des recherches pour Baronesa, et j’ai été très impressionnée par son film. Il m’a aussi beaucoup intéressée pour mon propre projet. Nous avons sympathisé et quelques mois plus tard, il m’a demandé d’être assistante réalisatrice sur son film Araby. Après cette expérience, je suis retournée à Vila Mariquinha et à Juliana pour reprendre le tournage, puis nous avons commencé à monter Baronesa. C’était un processus très long, que nous avons effectué quand nos autres projets respectifs nous le permettaient. J’ai aussi été aidée par une autre monteuse, Rita M. Pestana. Nous avons réduit les 70 heures de rushes à une sélection de 15 heures. Sur cette base, nous avons commencé à écrire un scénario qui est finalement devenu Baronesa.

Propos recueillis par Rebecca De Pas

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Fiche technique

Brésil / 2017 / Couleur / HD, Dolby Digital / 70’
Version originale : portugais.
Sous-titres : anglais.
Scénario : Juliana Antunes.
Image : Fernanda de Sena.
Montage : Affonso Uchôa, Rita M. Pestana.
Son : Pedro Durães, Marcela Santos.
Avec : Andreia Pereira de Sousa, Leid Ferreira.
Production : Marcella Jacques (Ventura), Laura Godoy (Ventura), Juliana Antunes (Ventura).
Distribution : Thiago Macêdo Correia (Filmes de Plástico).

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE