Peu de défis sont plus difficiles à relever pour une jeune cinéaste, pour un premier long métrage, que celui que s’est donnée Carolina Moscoso : faire un film à partir du viol dont elle a été victime huit ans auparavant, pendant ses études de cinéma. Peu de projets imposent comme celui-ci l’invention d’un langage absolument singulier pour dire la singularité absolue de ce qui a été vécu. L’effroi de l’événement, et encore son ombre portée sur la vie qui continue, altérée, durablement obscurcie. Visión nocturna. Le titre nomme la fonction qui, exagérant leur sensibilité, permet aux caméras numériques de filmer la nuit, de voir dans le noir. Pour donner forme à cette obscurité, Carolina Moscoso articule deux matières, deux modes narratifs des plus contrastés. Un récit linéaire et muet, texte imprimé sur les plans ou dans le noir, établit la factualité nue du viol et de sa violence prolongée par un processus judiciaire incapable de le reconnaître, de faire justice. En fond ou dans les trous de ce récit, le montage agence des fragments disparates extraits des rushes accumulés par la cinéaste depuis quinze ans en une sorte de journal intime. Scènes d’amitié joyeuses, insouciantes, ou impressions solitaires, seule la cinéaste sait comment l’ombre du viol porte sur ces éclats de sa vie passée. Aucun commentaire, aucune explication n’en livre le secret. C’est en creusant ce silence, en cultivant ce secret, que Visión nocturna réussit l’impossible exploit de partager l’impartageable. (C.N.)
Présentation du film par la réalisatrice