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ON A EU LA JOURNÉE BONSOIR

WE HAD THE DAY BONSOIR

Narimane Mari

Geste d’amour, portrait de peintre, hymne à la vie, On a eu la journée bonsoir est tout à la fois. « C’est dans le son d’une fin que se joue la musique du vivant, dont nous sommes, tous, à notre endroit de présence, une note inventée ». Tels sont les mots de Narimane Mari pour décrire le film réalisé en hommage à son compagnon disparu, le peintre Michel Haas. Tandis que les notes d’Amor Amor de Norie Paramor résonnent sur les premières images – une eau éclairée d’une lumière crépusculaire – des noms défilent sur l’écran, ceux des êtres, morts ou vivants, inconnus ou reconnus, dont la présence et les voix peuplent ce film cosmique. Narimane Mari assemble des fragments de vie glanés au fil des ans, au cours des films, au détour des rues, et les fait danser avec les images de son complice. Au regard malicieux de Michel Haas répondent ceux de ces inconnus cueillis sur un boulevard parisien, à son corps au travail ceux des enfants de Loubia Hamra (FID 2013) se baignant dans la Méditerranée, à sa voix pleine de tendresse celle, langoureuse, d’Elvis Presley. Narimane Mari poursuit ainsi la conversation du peintre avec le monde. Elle construit un refuge où abriter ses créatures – animaux sculptés et autres personnages de papier – et les faire cohabiter avec leurs compagnons de vie, de pensée, de musique. Entre les silences, espaces de recueillement, s’immisce le souffle des mots, que portent des gestes amoureux – se remémorer des souvenirs heureux, s’appeler pour se les dire, se les raconter par messages vocaux. La réalisatrice noue ainsi un dialogue intime au-delà de la mort et vient redoubler l’opération poétique en imprimant certains de ces mots à même l’image – en sous-titres ou agencés tels des poèmes – comme les notes d’une partition musicale qui viendrait chanter la musique du vivant. Véritable chant d’amour, On a eu la journée bonsoir rend grâce à la vitalité débordante de Michel Haas, source inépuisable de vie pour Narimane Mari comme pour nous. (Louise Martin Papasian)

Entretien avec Narimane Mari

Michel Haas participait déjà à Holy Days (2019), il est le sujet central de On a eu la journée bonsoir qui apparaît comme un portrait au présent, une ode à la vie, à l’amour, à l’art. Quel était votre projet ?

Michel a participé à tous mes films, toujours, nous avons poursuivi ainsi, et dans celui-ci, il a le rôle principal. Dans Holy Days, je commençais à explorer ce que j’avais toujours eu envie de faire, entreprendre un récit dans les bribes confuses et claires à la fois de ce que nous percevons. Je crois que dans ce film, je suis allée plus loin dans cette exploration. Mais il y a encore à faire. Toujours.

Le film a été écrit avec Michel Haas. Comment avez-vous pensé ensemble son élaboration ?

J’ai décidé d’enregistrer ses sons qui me paraissaient, alors que sa vie allait à sa fin, être ce qui ne devait pas mourir. J’imaginais pouvoir supporter la disparition du corps, mais pas celle de sa voix ou de ses bruits quotidiens. Lui m’a dit que c’était notre dernier vivre ensemble, ce projet de film. Mourir est une aventure, la dernière, et nous l’avons vécue. Mais ce qui est formidable, c’est que nous y avons ajouté ce projet comme un futur. Il s’y est impliqué jusqu’au bout… et je l’entends me dire « il n’y a pas de bout ».

Un caractère s’affirme, c’est celui de la vie, dans les moments graves comme dans ceux joyeux où les rires fusent. S’est-il développé au moment de l’écriture ?

La joie a toujours été le moteur de Michel et le mien et il n’a jamais su être sombre, même quand il essayait de l’être. Nous avons écrit ce film ensemble, lui vivant ou mort, mus par ce à quoi nous ne pouvions renoncer, sinon c’était disparaître, un mot qui ne peut convenir à aucune histoire humaine.

On a eu la journée bonsoir est composé de fragments hétérogènes de sa vie, de temporalités différentes, d’extraits de films, de citations, de chansons. Comment les avez-vous choisis ?

Je crois que je ne saurai pas répondre clairement. Je pourrais dire qu’ils se sont offerts à ce film. « Elle écoute : tout qui passe par l’oreille devient plus vrai, que les expériences par les yeux » écrit Unica Zürn dans MistAKE. Je n’ai fait qu’écouter, tout, pour rencontrer ce qui allait se dire là. Ce qui est décrit dans la question a existé, existe et existera encore. Et nous n’avons jamais porté attention aux temporalités, plutôt à l’épaisseur que tout cela composait en nous.

Comment avez-vous travaillé le montage ?

J’ai eu le sentiment tout au long, d’avoir écrit, filmé et monté dans un même temps, alors que je n’ai rien écrit, que j’ai filmé et monté spontanément, sur des temps très courts. J’ai commencé ce travail à la mort de Michel. En plusieurs étapes, sans jamais pouvoir entrevoir la fin du film avant qu’elle n’arrive d’elle-même, encore une fois, grâce ou à cause d’autres événements qui ont surgi. Je pourrais dire que je n’ai rien cherché à faire, mais à laisser faire ce qui advenait avec, bien sûr, une pensée féroce pour ce qu’est ce film aujourd’hui, un film vivant.

Vous avez choisi d’inscrire à certains moments les voix à l’image selon des déclinaisons variables, audibles ou pas, des commentaires qui jouent aussi comme des signes graphiques. Pourquoi ce parti pris ?

Les mots sont une image poétique, ceux qu’on entend dans la rue en passant, bien souvent, ils font nos journées, nous font rire, pleurer, sursauter, nous laissent entendre les vies qui passent par là. Les sous-titres me heurtent, ils sont très loin des images que portent en eux ceux qui prononcent les mots. Je combats depuis longtemps ce qu’on nous impose comme langue, sans images, neutre, stéréotypée, conforme. Le bien-parler m’exaspère, les fautes de langage m’agitent l’esprit parce qu’elles sont émues d’un vécu. Il me semble que ces mots, posés tel que je l’ai fait à l’image, continuent d’appartenir à ceux qui les vivent et non pas à ceux qui aimeraient les entendre dans leur propre langue, pour pouvoir envisager de les comprendre. Voir un film, c’est aller vers l’autre. La préoccupation de la rencontre doit être égale, entre les spectateurs et ceux qui ont participé au film.

La composition avec la lumière, dans les séquences nocturnes comme dans la séquence avec la docteure par exemple, est essentielle. Comment avez-vous réfléchi à la direction photographique avec Nasser Medjkane et Antonin Boischot ?

J’ai filmé toutes les images, sauf celles de Nasser qui est mort aussi, quelques mois après Michel. Elles ont été tournées il y a quelques années, comme celles d’Antonin qui est bien vivant. J’ai filmé ce qui se passait autour de moi, en ouvrant les yeux le matin ou la nuit. Tout ce que je montre a toujours été visible dans notre espace. Je n’ai fait que poser la caméra à côté de mon lit, et j’ai filmé quand j’ai été appelée à le faire. C’est d’ailleurs comme ça que je tourne toujours, seule, avec Nasser ou Antonin. Jamais je n’envisage de travail sur la lumière, elle est là ou pas et les deux comptent.

Le film est aussi constitué de musiques, d’enregistrements, de voix. Quel a été le travail spécifique sur le son avec Antoine Morin et Benjamin Laurent ?

De la même façon, j’ai travaillé seule ici, depuis toujours j’ai enregistré Michel parce que nous voulions nous débarrasser des journalistes qui venaient l’interviewer. Nous faisions nos propres interviews, ça nous amusait et on composait avec des extraits qu’on envoyait ensuite à la presse. J’avais aussi commencé pour Prologue, un film de commande que j’ai réalisé, mon premier film, pour un musée qui exposait des œuvres de Michel. Antoine est un ami de toujours, Benjamin un ami depuis Loubia Hamra. Nous travaillons ensemble sur chacun de mes films, non pas pour nettoyer ou envisager un travail de sound design sur celui-ci, mais augmenter la qualité sonore dont les sources varient, et mixer à l’endroit qui est juste.

Le film débute et se clôt par le clapotis des vagues, sans compter d’autres séquences à la mer. Pourquoi cette récurrence de l’eau ?

Nous étions toujours dans l’eau. Vivre ou même traverser une ville où il n’y a pas d’eau, mer ou rivière, est impossible. L’eau absorbe tout et elle a assez de puissance pour garder tout ça en mouvement. Je l’envie.

Tous les êtres vivants ou les œuvres participant à On a eu la journée bonsoir sont citées « comme ils apparaissent », à égalité. Ce générique distingue-t-il la conception de votre film ?

Dans Holy Days, Antonin, qui tenait la caméra sur l’une des scènes où Saadi tremble de tout son corps, a voulu faire sortir la mouche qui était dans le champ. J’ai refusé parce que je la trouvais magnifique à cet endroit et qu’elle était là, dans sa propre existence, à faire ce qu’elle avait à faire et même plus, puisqu’au montage, je monte le plus souvent sans sons, que je fais venir une fois que j’ai bien vu, elle a fait sa danse sur le son que j’ai posé, comme si elle savait. J’adore ça et je ne cherche pas à ce que ce soit vrai, mais j’aime que nous ayons tous quelque chose à apporter, à l’instant où nous le faisons, et ça agira ici ou ailleurs. Ça développe un sens aigu de nos actions et de nos attentions. Et j’aime ça.

Propos recueillis par Olivier Pierre

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Fiche technique

France / 2022 / Couleur / 61’

Version originale : français, anglais
Sous-titres : français, anglais
Scénario : Narimane Mari, Michel Haas
Image : Narimane Mari, Nasser Medjkane, Antonin Boischot
Montage : Narimane Mari
Son : Narimane Mari, Antoine Morin, Benjamin Laurent
Avec : Michel Haas
Production : Narimane Mari (Centrale Électrique), Olivier Boischot (Centrale Électrique), Michel Haas (Centrale Électrique)
Distribution : Pascale Ramonda
Filmographie : Holy days, 2019
Le Fort des fous, 2017
Loubia Hamra, 2013
Prologue, 2007