Entretien avec Zoé Chantre
1. Le Poireau perpétuel se présente comme un nouveau chapitre de votre journal filmé après Tiens moi droite (2012), votre premier long métrage. Comment l’avez-vous envisagé ?
L’idée, au départ, était une fiction sur le désir ou pas d’avoir des enfants mais le journal filmé m’a rattrapé. Le plaisir de filmer seule avec une petite caméra et un micro, sans contrainte, avec comme seul motif de raconter ce qu’il m’arrivait. C’était devenu plus fort que mon désir de fiction. Petit à petit, il s’est dessiné que Le Poireau perpétuel serait comme une suite à Tiens moi droite mais qui pourrait aussi se voir seul, indépendamment. J’imagine déjà qu’il y aura une suite à cette suite, car un journal filmé, quand on commence et que ça prend, c’est dur de s’arrêter.
2. Le film évoque des sujets graves avec une fantaisie et un humour renouvelés. Quels étaient vos choix au niveau de l’écriture ?
Le désir de faire naître le film a commencé par une peur de la mort. Celle de perdre ma maman atteinte d’un cancer. Au même moment, je me posais la question d’avoir un enfant ou pas. Cette rencontre dans un même temps de la mort et de la naissance m’a confronté à l’essence même de la vie. Je pense que rien n’est grave, même les grandes questions, il faut les affronter et ça peut même donner des ailes. L’envie de témoigner de mon vécu « banal », n’est qu’un jeu pour apprivoiser le monde et accepter qui je suis. Pour l’écriture, j’ai surtout émis des désirs, des ressentis et au fur et à mesure, le film s’est révélé. Mon récit s’est construit petit à petit, avec le temps, au moment du tournage et du montage qui se sont chevauchés.
3. L’animation artisanale contribue beaucoup à ce réenchantement du réel. Comment la concevez-vous ?
Assez spontanément, quand une idée d’animation me prend, j’ai envie que ça se fasse tout de suite, comme un croquis jeté sur le papier. C’est l’idée qui m’intéresse. Donner à voir le trait de crayon qui s’efface montre la trace qu’on laisse derrière soi et aborde la notion de bricolage. Ce film a volontairement été fait de façon « bricolée » – en tous cas, j’aime imaginer qu’on en ait l’impression.
4. Alain Cavalier est cité comme « compagnon de route » sur votre site. Son travail vous-a-t-il inspiré ?
Oui, c’est un exemple de liberté pour moi. Sa manière d’utiliser sa caméra comme un pinceau, comme quelque chose qui l’accompagne et l’aide à peindre sa vie me parle beaucoup. Il m’a appris la patience, la synthèse et la simplicité.
5. Comment avez-vous réalisé les séquences de rêve ?
Les rêves sont construits avec des effets spéciaux faits maison qui me permettaient d’introduire le réel, contrairement aux dessins animés. En effet, quand on rêve, la plupart du temps, on ne rêve pas en dessin et c’est pour cela que je n’ai pas utilisé mon crayon pour ces séquences.
6. Le filmage des voyages en Inde et au Vietnam était-il une gageure par rapport aux images domestiques ?
En Inde non, car on est d’abord parti pour y faire une cure. J’avais emmené ma caméra mais je n’avais pas prévu à l’avance d’utiliser ces images. C’est au montage que c’est apparu. Au Vietnam, par contre, j’avais vraiment la volonté de faire sortir de notre quotidien, d’aller voir ailleurs, comme une respiration. Une volonté écrite. Il a fallu préparer en amont le voyage sans savoir ce que j’allais y trouver, mais j’avais en tête de filmer des bribes d’une autre vision de la mort.
7. Comment avez-vous travaillé le montage entre animation, prises de vues réelles et séquences oniriques ?
D’abord seule, en découvrant le soir les images que j’avais tournées le jour même et en essayant de les accrocher aux autres filmées la veille, comme un puzzle. À la fin, cela a donné une grande matière assez hétéroclite. Puis, avec l’aide d’un œil extérieur, j’ai éliminé de la matière pour ne garder que le réel pour le récit, le dessin pour l’image du passé ou l’image infilmable et les effets spéciaux faits maison pour les rêves. La partie liée aux animaux fait partie des choses que je filme au quotidien, du réel que je mets en scène ou pas. Ils participent à mon paysage visuel et émotif, ils me fascinent par leurs mystères et leur rapport beaucoup moins cérébral à la vie.
8. Comment avez-vous composé la musique du film ?
Je compose souvent la musique en conduisant, ou dans mon lit, ou bien encore en marchant. Je ne suis pas vraiment musicienne mais comme beaucoup je fredonne par-ci, par-là. Je m’enregistre avec le dictaphone de mon téléphone. Petit à petit, je me suis créé une banque de ritournelles, de petits airs. Ils correspondent souvent à un état précis et je les range par émotions, ou situations. Je replonge dedans quand je cherche un accompagnement musical au montage et je les retranscris sur mon clavier. D’ailleurs cela me sert de pause en cours de montage: quand je suis épuisée de l’image, je bascule vers la musique.
9. Comme le dit le médecin, vous occupez tous les postes dans Le Poireau perpétuel. Comment ce choix s’est-il imposé ?
Pour moi, le journal filmé ne peut pas être fabriqué par quelqu’un d’autre. Je voulais continuer comme je l’avais fait sur Tiens moi droite, seule, sans équipe, à mon rythme. Mais j’avoue qu’au bout d’un moment je n’avais plus aucun recul, tout était flou et j’ai eu besoin des autres pour avancer. C’est un gros challenge mais une sacrée liberté.
10. Quelle place a le cinéma dans votre recherche artistique, entre le théâtre, les livres, la photographie ? A-t-il également un rôle thérapeutique ?
Le cinéma est un outil complet qui me permet de regrouper dans un seul document différentes actions que j’aime faire comme le dessin, la musique, la construction de récit, le bricolage d’objets, le montage, le cadrage… Il stimule mes envies, surprend mon quotidien et m’amène à faire des choses que je n’aurais pas faites sans l’idée d’un film. C’est un compagnon de route qui s’intercale parmi les autres. Je ne dirais pas qu’il est thérapeutique, car la vraie thérapie je l’ai faite avec mes médecins, mes proches, le temps… Mais je peux parler de résilience à travers le film. Il me donne de la force pour affronter mes maux, les partager, il m’aide à relativiser et me rassure sur le fait que je ne suis pas seule.
Propos recueillis par Olivier Pierre