• Compétition Flash

WELCOME

Jean-Claude Rousseau

Trente-cinq ans après Keep in touch, le cinéma de Jean-Claude Rousseau fait retour dans la ville de Carl Andre et Hollis Frampton. On dirait un remake miniature de Fenêtre sur cour, mais version new-yorkaise. Fenêtre sur cour mis à plat par un artiste minimal new-yorkais. La fenêtre occupe presque tout le cadre, le photographe est absent. Le regard, qui n’a plus rien de voyeur, papillonne à la surface d’une façade de briques rouges, de l’autre côté, percée d’une myriade d’égales ouvertures. À la surface des vitres ou dans la profondeur des chambres, la vie passe, s’absente, revient, toujours inaccessible. Alliant la plus grande simplicité – cadre fixe et immuable – au plus haut degré de modulation sensible et affective, l’auteur de De son appartement (Grand Prix FID 2007) porte ici son art de la variation à son sommet. Les variations de la lumière convertissent les heures du jour en saisons de l’année ou de la vie. Des objets apparaissent et disparaissent sur le rebord de la fenêtre, un bout de carton bat dans le vent, une phrase extraite d’un quintette de Fauré revient comme le refrain d’une prière infinie. La fenêtre-triptyque, dressée sur son rebord d’un noir intense et brillant, finit par apparaître comme ce qu’elle est : un autel. Un autel devant lequel l’homme ne vient pas s’agenouiller mais faire des gestes, d’une main qui tremble de crainte et d’émotion, saisi par le battement de l’absence et de la présence de part et d’autre de la fenêtre. Puis il s’assoit, et c’est son image qui, le soir venu, s’imprime sur le tableau d’autel – reflet en retrait, autoportrait spectral sur la vitre centrale. New York n’existe plus. Lui, à peine. Welcome est une cérémonie d’hommage et d’adieu à une ville et un passé révolus. Le titre, paradoxal, formule l’énigme qu’est le film : Qui souhaite la bienvenue dans cet adieu ? Où est-on accueilli ? De quoi cette fenêtre-autel marque-t-elle le seuil ? Attention, vertige.
(Cyril Neyrat)

Le mot du réalisateur

En arrivant dans l’appartement que j’ai loué pour un temps à New York, je trouvais, en guise d’accueil, une carte sur laquelle « Welcome » était écrit à la main.
Cette carte est devenue un objet du film en la posant sur le rebord de la fenêtre. Celle-ci offrait un cadre juste, avec une vue sur les fenêtres de l’immeuble en face. Un cadre qui tenait le regard, d’autant qu’un morceau de carton mal fixé derrière la vitre venait y buter à chaque coup de vent.
C’est cette justesse du cadre qui déclencha la prise, avec le seul matériel dont je disposais alors : un smartphone. Je n’avais pas prévu de filmer pendant mon séjour à New York, mais le cadre s’imposait et la prise de vue s’est faite sans avoir l’intention de faire un film.
Apparaissant, disparaissant, le carton qui vient frapper la vitre donnait un rythme au plan et m’incitait à renouveler les prises selon les heures du jour. À travers les variations de lumière, on voit le temps passer, et par les déplacements d’objets sur le bord de la fenêtre, on voit que le lieu est habité.
Parmi ces objets, une théière pour verser le thé du matin, un carton d’invitation pour une exposition de photographies, une clé posée là après un claquement de porte, ou retirée avant que s’entende à nouveau l’ouverture de la porte.
L’occupant du lieu n’est pas toujours là, mais son absence n’interrompt pas le battement du carton contre la fenêtre. Pulsation sans témoin, cœur battant qui semble s’émouvoir de la rencontre, à rythme égal, de quelques notes du premier quatuor de Fauré. La musique s’entendra à nouveau. Elle soulève le film comme le vent du dehors fait lever le carton qui frappe à la vitre.
Ces quelques objets exposés devant la fenêtre s’offrent à la fiction. Ils peuvent être saisis pour rompre la monotonie et satisfaire notre besoin d’histoire. Tout peut s’imaginer. Jusqu’à croire que l’homme a quitté l’appartement pour aller à l’exposition et peut-être retrouver la femme qu’on voit sur le carton d’invitation.
L’appel de la fiction, comme une incarnation du sujet, est sans limite. Mais la réalité demeure. Elle est dans les variations de la lumière jusqu’à la nuit tombante. Elle est dans le battement sans répit, de l’autre côté de la fenêtre, du carton en butte à notre imaginaire. Cœur battant, près de se rompre. Oui, « Cœur battant », un autre titre du film.

Jean-Claude Rousseau

  • Compétition Flash

Fiche technique

France / 2022 / Couleur / 18’

Version originale : sans paroles
Image : Jean-Claude Rousseau
Montage : Jean-Claude Rousseau.
Son : Jean-Claude Rousseau

Production : Jean-Claude Rousseau (Rousseau Films).

Filmographie sélective :
Le tombeau de Kafka, 2021
Un monde flottant, 2020
In memoriam, 2019
Si loin, si proche, 2016
Arrière-Saison, 2016
Chansons d’amour, 2016
Terrasse Avec Vue, 2015
Fantastique, 2014
Sous un ciel changeant, 2013
Saudade, 2012
Dernier soupir, 2011
Senza Mostra, 2011
Nuit Blanche, 2011
Festival, 2010
Série noire, 2009
L’Appel de la Forêt, 2008
De Son Appartement, 2007
Deux fois le tour du monde, 2006
Faux départ, 2006
Trois fois rien, 2006
Une vue sur l’autre rive, 2005
Juste avant L’orage, 2003
La vallée close, 1995
Les antiquités de Rome, 1989
Keep in touch, 1987
Venise n’existe pas, 1984.

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR