Jenni Toikka
Une femme, sous le regard d’une autre, commence le Prélude Op. 28 No. 2 de Chopin : la référence est claire, Jenni Toikka retravaille Sonate d’Automne d’Ingmar Bergman. Un mouvement de caméra vient recadrer la pianiste tandis que la musique devient un son intérieur. Le cadre se resserre encore et la pianiste est devenue spectatrice, auditrice : première de plusieurs permutations qui voient se brouiller l’espace et s’intervertir les positions. Le film s’enroule sur lui-même et recommence. De dédoublement en diffraction, une infinité de reflets en huit minutes. (Nathan Letoré)
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- 2022
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PRELUDI OP. 28 NO. 2
PRELUDE OP. 28 NO. 2
Jenni Toikka
Entretien avec Jenni Toikka
Votre film fait référence et retravaille une scène célèbre de Sonate d’Automne d’Ingmar Bergman. Comment ce projet est-il né ?
Il s’agit d’une commission d’Ouverture Visuelle pour le Mur des Médias du Helsinki Music Hall, pour projection avant les concerts de l’Orchestre Philharmonique.
Le film était projeté sur le Mur des Médias sans son (c’était un des critères de sélection), mais dès le début du processus il était évident pour moi que j’en ferais aussi une version sonorisée.
Parmi mes plus grandes influences cinématographiques, depuis mes études, sont quelques films ou scènes d’Ingmar Bergman, auxquelles je reviens dès que je commence à travailler sur une nouvelle œuvre. Maintenant, regarder ces films ou extraits est devenu plus un rituel pour me lancer. Dans ce contexte, Sonate d’Automne m’est venu à l’esprit même si je ne le connaissais pas auparavant. Dans une des scènes clés du film, mère et fille jouent le Prélude de Chopin tour à tour. Ce morceau est un morceau que mère et fille connaissent bien, donc elles peuvent se mettre à la place de l’autre en l’écoutant et en la regardant jouer. Pour moi, la situation soulevait des questions sur le sens de la réciprocité, de la simultanéité, de la synesthésie. Les rôles peuvent-ils se mêler, entre spectateur et auditeur, et objet du regard et de l’écoute ? Quand on regarde l’autre jouer, est-ce qu’on peut sentir nos propres mains, nos propres doigts sur les touches ?
Vous choisissez de construire votre film sur la répétition d’un plan, montré si je ne m’abuse sans variation. Pourquoi cette structure dupliquée ?
Oui, vous avez presque raison, les deux plans sont identiques, sinon que le deuxième est légèrement plus long, ce qui fait que le cadrage final est différent.
Le lieu de projection est un aspect important de la genèse de mon processus de création. En tant qu’artiste visuelle, mes films sont souvent montrés en situation d’exposition, où ils sont joués en boucle. Je pense que cela a affecté plus généralement ma manière de concevoir la structure de mes œuvres.
Pour la situation du festival, j’ai dû choisir quelle serait la meilleure manière de montrer l’œuvre. Nous avons discuté avec des collègues proches et tout le monde était d’accord qu’il fallait montrer le plan deux fois, pour accentuer l’événement, et la nature méditative de l’œuvre. Ville Piippo, mon chef opérateur, préférait aussi une œuvre à deux boucles, car sinon le cycle resterait ouvert, et nous resterions derrière le dos de Seidi.
Vous avez aussi choisi de filmer chaque scène en un plan-séquence, malgré des changements de décor complexes. Pourquoi ce choix ?
Je travaille principalement en pellicule depuis 2017, et j’ai l’impression que ça a accentué une certaine idée de l’authenticité – qui implique, par exemple, des décors réels et aussi peu d’ajouts et de modifications numériques en post-production que possible. Filmer en pellicule m’a aussi appris à construire l’œuvre autant en amont que possible, pour la situation de tournage. Cela a partiellement influencé mon intérêt pour les plans-séquences et les changements de décor qui y ont lieu.
De plus, dans mes œuvres récentes, j’ai utilisé des plans longs, solides, pour donner un sentiment du temps réel d’une performance ou d’un événement scénique. Dans Preludi Op. 28 no 2, le jeu ininterrompu et un plan-séquence captent l’événement en une séquence temporelle, et comme la caméra se déplace et deux personnes changent de place, le temps est également stratifié.
Avec un processus comme ça, j’ai trouvé un nouveau moyen de travailler en équipe. L’utilisation de plans-séquences nécessite de s’entraîner et d’ajuster la chorégraphie en amont du tournage. Le tournage lui-même devient comme une situation de performance, dans laquelle chaque membre du groupe de travail a une certaine tâche à accomplir et donc un rôle important.
Le son joue évidemment un rôle essentiel. Pourriez-vous nous dire comment vous avez conçu la bande-son, avec toutes ses couches ?
Kasperi Laine est le designer du son du film, et il a fait partie du processus dès le début, même quand nous pensions à la version muette. Il était aussi présent sur le tournage. Kasperi a différentes expériences de travail avec le son. Il a travaillé dans le théâtre, le cinéma, et est aussi musicien et producteur. J’ai tenté d’utiliser sa créativité et ses multiples talents non seulement en ce qui concerne le son, mais pour tout.
Pour le film, nous avons d’abord pensé ne pas utiliser directement le Prélude de Chopin joué au piano ; nous voulions plutôt concevoir le paysage sonore différemment, et être ainsi plus proche de la version muette – utiliser le son pour donner une impression de ne pas entendre. Mais le son aurait transmis la nature du morceau de musique d’une autre manière, par exemple en utilisant d’autres sons du piano (les pédales, le clavier…), des sons de l’espace et des personnages (respiration, mouvements…).
Après bien des tests, nous avons conclu que le piano devait bel et bien être entendu. Puisque le titre du film est ce morceau en particulier, chaque solution musicale s’y reflète aussi. Une modification radicale de la musique originale devient donc difficile, car elle semble commenter ou aller à l’encontre de l’original, ce qui n’était pas notre intention première. De plus, en entendant le jeu du piano, le temps et les inversions de rôle des pianistes se remarquent davantage.
Propos recueillis par Nathan Letoré
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Fiche technique
Finlande / 2022 / Couleur / 35 mm / 8’
Version originale : sans paroles
Scénario : Jenni Toikka
Image : Ville Piippo
Montage : Sampo Siren, Jenni Toikka
Musique : Frédéric Chopin
Son : Kasperi Laine
Avec : Seidi Haarla, Meri Nenonen
Production : Jenni Toikka
Distribution : Tytti Rantanen (AV-arkki – The Centre for Finnish Media Art).
Filmographie : Reel, 2019
Lighthouse, 2019
Circle, 2016
Adaptation, 2009.
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