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PARAÍSO

Maddi Barber

Marina Lameiro

Maddi Barber Marina Lameiro
Une forêt de pins. Une équipe de gardes forestiers s’y affaire, repère les lieux, mesure les troncs : bientôt ils abattront les arbres. Une machine mesure les distances et produit une image de synthèse de la forêt. Mais le mouvement de cette image échappe au simple relevé topographique, des voix communiquent avec les arbres et révèlent que les habitants du village appellent cette forêt « Paradis ». C’est pourquoi des enfants la réinvestissent pour un camping sauvage. Dans cette fable écologique sans catastrophe, l’agencement des registres narratifs et des régimes d’images questionne le rapport des hommes à la forêt : Comment la représenter ? Comment la raconter ? Et surtout, comment l’habiter ? (Nathan Letoré)

Entretien avec Maddi Barber and Marina Lameiro

Paraíso montre une forêt sur le point d’être abattue, appelée «Paradis » par les habitants du village proche. Comment ce projet est-il né ?

MB : Le film est né d’une très longue relation avec les gens du village. Je suis née dans ce village et j’y avais fait des films. Un de mes amis m’avait demandé si je pouvais documenter le processus de transformation du territoire. Le projet de film fait partie d’un projet de redéveloppement territorial pour atténuer le manque d’eau dans la région. Une des mesures consiste à abattre la forêt de pins pour la convertir en champs, ce pour quoi les sols avaient été utilisés jusqu’à ce que la forêt de pins soit plantée dans les années 1970. Ils voulaient qu’en documentant le processus, je puisse d’une certaine manière garder la mémoire de l’endroit. J’ai dit oui. Au fil du projet, j’ai impliqué Mariana dans le projet et nous avons décidé non seulement de le documenter, mais aussi de faire un film sur le processus.

Vous intégrez des images qui semblent issues de relevés topographiques, ensuite animées. Quelles sont ces images exactement ? Pourquoi avoir voulu les inclure dans le film ?

MD et ML : Ces images sont obtenues par la technologie LiDAR (Light Detection and Ranging or Laser Imaging Detection and Ranging, Détection et Mesure distancielle par Imagerie Laser). Le mécanisme est simple, il marche en pointant un petit laser sur une surface et en mesurant le temps qu’il faut pour que le rayon revienne à sa source. Cette technologie est utilisée en géologie, en sismologie, en criminologie, en architecture, et en gestion des forêts. LiDAR génère un nuage de points numériques qui peut être affiché sur un ordinateur pour générer une image numérique de la forêt. Ces programmes 3D permettent à une caméra virtuelle de s’insérer et de bouger dans l’espace.
Comme nous voulions représenter la forêt avant qu’elle ne disparaisse, nous pensions que de cette manière nous pourrions la contenir numériquement. Cette image nous permet aussi d’interroger différentes manières de percevoir un espace.

À certains moments clés, deux femmes qui ne sont jamais vues discutent, en voix off, de la forêt et de leur rapport avec celle-ci. Qui sont ces femmes, pourquoi ne pas avoir voulu les montrer, et pourquoi au contraire avoir voulu aborder ce sujet par le biais de la voix off ?

MD et ML : Nous entendons les voix de trois femmes. L’une est la médium qui communique avec les arbres, nous la voyons dans le film marcher dans la forêt et s’asseoir à côté d’eux. Les deux autres voix sont les nôtres, les deux réalisatrices. Il est vrai que nous ne voyons pas la médium pendant qu’elle communique avec les arbres, et une raison pour ceci a trait à la caméra que nous utilisons : une Bolex qui fait beaucoup de bruit, donc tout le son doit être non-synchronisé. Dans sa scène, nous avons donné la priorité à l’enregistrement du son plutôt qu’à l’image du moment.De plus, nous avions aussi envie de nous créer un espace pour l’intimité. La raison pour laquelle nous, réalisatrices, n’apparaissons pas à l’écran est principalement pratique, nous filmions et prenions le son nous-mêmes. À la fin du film, Maddi demande à Maia (la médium) si elle peut dire quelque chose aux pins, puisqu’elle est née et a grandi dans le village qui a baptisé la forêt du nom de Paradis.

La deuxième moitié du film montre une expédition de camping dans laquelle des enfants et jeunes adolescents établissent un camp dans la forêt. Pourquoi ce choix narratif, construit autour de l’enfance, qui fait écho à la présence du bébé dans la première scène ?

MD et ML : Le film montre une forêt sur le point d’être abattue et le rapport que les humains qui vivent dans la région entretiennent avec elle. Nous pensions que les enfants avaient une manière particulière d’habiter cet espace et nous cherchions un moyen de découvrir la forêt par leur biais. La forêt devient un terrain de jeux, où on peut grimper dans les pins, faire des cabanes, et se jeter des pommes de pin. D’une certaine manière, il y a en effet un écho avec la première scène, durant laquelle un bébé est avec son père tandis que d’autres adultes cataloguent la forêt. Et il y a aussi cet homme qui grimpe à un arbre avec beaucoup d’agilité. Nous pensions que c’était très beau que ces adultes, qui mesurent actuellement la forêt, étaient à une époque aussi des enfants qui l’habitaient d’une autre manière.

Propos recuillis par Nathan Letoré

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Fiche technique

Espagne / 2021 / Couleur / 16 mm / 24’

Version originale : basque, espagnol
Sous-titres : anglais
Scénario, image, montage : Maddi Barber, Marina Lameiro
Son : Oriol Campi
Production : Maddi Barber (Pirenaika), Marina Lameiro (Hiruki Filmak).
Filmographie :
– Maddi Barber :
Gorria, 2020
Land Underwater, 2019
592 metroz goiti, 2018
Yours truly, 2018
– Marina Lameiro :
Dardara, 2021
Young & Beautiful, 2018
Volando pero no, 2016
300 Nassau, 2016.
ENTRETIEN AVEC LES RÉALISATRICES