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ATADOS LOS AÑOS ENGULLEN LA TIERRA

TIED YEARS DEVOUR THE EARTH

Clemente Castor

Clemente Castor
Dans Príncipe de Paz (FID 2019), de jeunes mexicains vaquaient, entre nature et ville, confrontés à l’énigme d’un squelette géant. Atados los años engullen la terra reprend ces motifs et les concentre en deux figures : un jeune homme et une jeune femme, nés d’un volcan dont l’éruption, dans le majestueux premier plan, est annoncé par le dérèglement chromatique de l’image. Lui, erre dans la jungle et s’ouvre à la perception des sens. Elle, se confronte à la dévastation du monde naturel par l’homme, avant de s’ouvrir à la société et à la compassion. Dialectique de l’immense et de l’intime, du naturel et du social, du temps quotidien et du temps du mythe : entre énigme cosmique et splendeur visuelle, le cinéma de Clemente Castor avance à pas de géant. (Nathan Letoré)

Entretien avec Clemente Castor

Après Principe de Paz en 2019, ce film est aussi centré sur des strates géologiques différentes et des personnages qui les explorent, dans des espaces liminaux entre ville et campagne. Comment ce projet est-il né ?

Il naît d’un intérêt pour les volcans et les paysages environnant le lieu où j’ai grandi. Le film a été tourné dans la Sierra de Santa Catarina, un axe volcanique à l’est de Mexico City. Dans les années 1950, le peintre Dr. Atl s’est consacré à la promotion d’un des projets urbains les plus ambitieux du Mexique post-révolutionnaire : Olinka, la ville idéale, où les élites artistique, intellectuelle, et scientifique voulaient «changer l’histoire de l’humanité et du cosmos.» Cette ville profondément exclusive avait pour objectif de canaliser l’évolution vers un nouveau but, vers la conquête réelle de l’univers. Ce projet a été tenté dans la Sierra de Santa Catarina, qui au milieu du siècle dernier était encore inhabitée. Aujourd’hui, elle est presque méconnaissable, car elle est entourée par une des zones les plus densément peuplées du pays. Il y a des plans de la ville dans le cratère du volcan La Caldera. L’idée d’explorer l’Est par le biais de cette histoire m’intéressait beaucoup. Je pensais que ce contexte historique m’aiderait à juxtaposer le Mexique qui avait été planifié et le Mexique tel qu’il est maintenant, et tel qu’il est représenté.

Votre film est construit autour de deux figures : un jeune homme, toujours vu seul dans des décors naturels, et une jeune femme, qui interagit avec d’autres personnages. Pourquoi cette structure d’oppositions duelles ? Quel rapport entre l’homme et son environnement vouliez-vous explorer ?

Les jeunes gens représentent les deux sphères qui sortent du volcan dans la première scène. C’est-à-dire que c’était une spéculation sur ces personnages : spéculer sur le non-humain. Imaginer que le regard n’est pas ancré dans un œil immobile qui produit des faits. Bien que très différents dans leurs intentions, les personnages du film viennent d’un imaginaire que Gerardo Murillo a créé, sans chercher de vérités ni d’absolus, comme dans ses romans de science-fiction. Des personnages qui viennent de territoires différents, qui viennent de l’intérieur de la Terre et qui traversent le cosmos à la recherche de « vérités », pas complètement humains. C’était important que les deux personnages se réveillent dans des endroits différents près du volcan. D’un côté, lui se réveille dans la nature et son interaction avec l’espace se fait par ce biais, par l’eau, les plantes, ses souvenirs. Avec elle, il s’agit de voir le Mexique contemporain dans l’est de la ville. Le rapport avec les bruits de la ville, les machines, et avec les gens qui peuplent ces endroits. Au final, les deux personnages ont des intérêts et des émerveillements très différents. Les deux sont des observateurs, qui traversent un territoire chargé de l’idée, venue d’un Mexique post-révolutionnaire, d’un « progrès » qui n’existe pas, les montagnes Santa Catarina converties en mines, et les volcans subissant une pression démographique. Ils traversent le dernier jour avec la même incertitude de la fin.

Le passage du temps joue un rôle essentiel mais mystérieux : les morts sont commémorés, il est fait mention d’un « dernier jour »… Quelle fonction vouliez-vous accorder au temps dans le film ?

Le film se déroule lors du dernier jour du temps, le jour de la cérémonie du feu nouveau célébrée par les Mexica (Aztèques). C’est pourquoi j’ai choisi le titre Atados los años, attachées les années. La cérémonie du feu nouveau était considérée la plus grande des célébrations par les anciens Mexica, située temporellement à la conclusion des treize tours des quatre signes de l’an pour compléter le siècle. Cela se passait tous les 52 ans, quand les années se renouaient. Le feu mourait et par l’offrande, une nouvelle étape commençait, où tout recommençait en spirale pour un nouveau siècle. En pensant beaucoup à ce film dans ma vie personnelle, je l’ai ressenti comme une sorte de fin, et représenter cette fin du monde contemporain était comme une espèce de soulagement du temps.

Les changements chromatiques jouent un rôle important : dans le plan d’ouverture, mais aussi dans le passage final au noir et blanc. Pourquoi cette importance du travail sur la couleur des images ?

Une des premières images qui m’est venue quand j’ai commencé à imaginer le film était un ciel complètement rouge. Comment cette couleur viendrait de l’éruption d’un volcan et teindrait tout aux alentours, et comment ce changement chromatique affecterait aussi les émotions des personnages. Au début, il avait été décidé que toute la dernière partie du film serait en rouge, parce que ce changement advient dans une scène, mais nous avons décidé de la laisser en noir et blanc car nous l’avions filmée directement ainsi avec la pellicule, et parce que cela nous donnait l’impression que le temps changeait et que le dernier jour approchait. Je me souviens qu’un ami m’avait dit que quand le Krakatoa est entré en éruption en 1883, des peintres expressionnistes allemands avaient peint des tableaux avec une couleur du ciel rougeâtre qui en provenait, et cette image est restée gravée profondément dans ma tête.

Propos recueillis par Nathan Letoré

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Fiche technique

Mexique / 2022 / Couleur et Noir & blanc / 16 mm / 40’

Version originale : espagnol
Sous-titres : anglais
Scénario : Clemente Castor
Image : Andrea C
Nieto, Emilianna Vazquez
Montage : Clemente Castor
Son : Laura Carillo, Gerardo Martinez
Avec : Romina Soriano, David Gamaliel, Beatriz Hernández
Production : Karla Hernández (Salón de Belleza), Maximiliano Cruz (FICUNAM)
Distribution : Alejandra Villalba (Salón de Belleza).
Filmographie : fantasma, animal, 2021
Príncipe de Paz, 2019.

INTERVIEW WITH THE DIRECTOR