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ANTENNA

Serge Garcia

Serge Garcia
Décrocher, raccrocher un vieux combiné téléphonique : l’acteur-réalisateur refait le même geste en boucle, l’ingénieur son enchaîne les prises. On est sur le tournage du dernier opus de Declan Clarke, What are the wild waves saying? (FID 2022). S’attarder sur le son d’un film presque entièrement muet : économie de l’attention, souci du détail. Serge Garcia monte une succession de séquences dénotant une activité effrénée, qui culmine dans le silence collectif et l’écoute de la prise. Jusqu’à ce que Declan Clarke confie, en voix off, sa filiation intellectuelle et artistique, matrice des moments de travail et d’observation agencés ici. (Nathan Letoré)

Entretien avec Serge Garcia

Antenna a été tourné durant la production d’un autre film, What are the wild waves saying? de Declan Clarke, sur lequel vous avez travaillé. Comment s’est passée cette rencontre, et pourquoi avez-vous décidé de tourner un film sur le processus de filmage ?

Declan et moi nous sommes rencontrés au FID en 2021. Nous nous sommes liés un soir quand il a raconté une expérience qu’il avait eu le soir précédent, où il s’était fait agresser à Marseille à trois heures du matin par deux hommes, et avait ensuite clarifié comment l’incident avait recroisé son éthique marxiste quand il avait refusé de porter plainte à la police, ce qui aurait permis d’identifier les assaillants. Je dirais juste que j’ai beaucoup apprécié son dédain pour les flics et ses tendances marxistes. Cela a posé la base d’une amitié qui a depuis évolué à Berlin, où nous vivons et travaillons tous deux.
Au départ, Declan m’a proposé de filmer What Are The Wild Waves Saying? mais j’ai poliment refusé par crainte de gâcher son film avec mon manque de compétences techniques sur la lumière et mon manque de confiance en ce qui concerne l’usage de la caméra (il m’a fait travailler comme premier assistant réalisateur à la place). Nous avons filmé quelques jours dans le Musée de la Stasi à Berlin. Ce bâtiment abrite les fantômes de l’emprise répressive de l’état policier durant la RDA (République Démocratique Allemande), donc je me suis dit qu’il ne fallait pas rater la chance de documenter la production du film de Declan au sein des murs de l’une des institutions les plus glaçantes de la Guerre Froide. Ce projet a été rendu possible avec le soutien généreux de Declan – il m’a fourni 3 ou 4 bobines de pellicule Kodak 32mm périmée de son frigo, et sa Bolex. Il a aussi couvert les coûts du développement et du scan de la pellicule avec le budget de What Are The Wild Waves Saying? Je ne voulais pas que mon envie de faire un film sur Declan faisant son film n’interfère avec mon vrai travail salarié en tant qu’assistant réalisateur, donc j’ai trouvé quelques intervalles de temps pour filmer les « coulisses » du tournage à des moments calmes, quand lui et son chef opérateur Simon Köcher préparaient les plans et mesuraient la lumière, etc.

Votre film donne un rôle clé à l’enregistrement du son et à la musique, tandis que celui de Declan Clarke est presque entièrement muet ! Pourquoi ce choix ?

Avant la production de nos deux films, Declan, Simon et moi avons pu voir l’exposition In a perpetual now (Dans un maintenant perpétuel) de Rose Barba à la Neue Nationalgalerie de Berlin. J’ai adoré cette exposition et j’ai été frappé par la manière dont les sons et les musiques des différentes installations interagissaient et parfois se heurtaient pour créer une boule de son élastique dans la pièce. Cette expérience du son viscérale et stratifiée m’a réchauffé et a planté les germes de mon approche du son sur Antenna.
J’ai enregistré le son de mon film sans rien dire à personne. J’aurais pu en parler à l’équipe mais je voulais saisir des enregistrements sauvages, qui transmettraient les conversations et le langage des tournages qui donnent une couleur particulière à un plateau de cinéma, sans que personne ne censure son discours ou ses tics. J’aurais aussi pu leur demander la permission mais ça n’aurait pas été aussi drôle… En tout cas, l’idée de stratifier tous ces enregistrements audio provient de mon expérience à l’exposition de Barba, même les solos de batterie jazz. J’ai monté mon film sans avoir jamais vu de version de What Are The Wild Waves Saying? Donc j’ai suivi mon intuition sans me soucier de savoir comment Declan monterait son film ou utiliserait le son ou le silence. J’ai eu le sentiment qu’il aimerait l’approche abstraite du son dans ce projet. Surtout ses références aux installations expansives et cinématographiques de Barba. C’est une artiste que nous admirons tous deux.

Antenna culmine avec une déclaration de Declan Clarke en voix off concernant son positionnement politique, historique, et esthétique. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette déclaration : fait-elle partie d’un entretien plus large ? Pourquoi avoir choisi de ne l’inclure qu’en voix off ? Pourquoi seulement cet extrait ?

Je savais qu’à un moment le film nécessiterait plus de contexte pour cerner le travail de Declan. Donc pour tenter d’ajouter une autre dimension, je lui ai demandé s’il serait ouvert à l’idée d’un court entretien d’une quarantaine de minutes pour injecter un peu de narration dans le projet, pour cerner son rapport à la politique de gauche et à son histoire, le marxisme, et comment ces choses recroisent sa pratique artistique. Il a accepté. Cela m’intéresse de déconstruire et/ou de critiquer les notions de créativité et d’authenticité dans l’art, car elles perpétuent un mythe romantique et générique de « l’artiste ». Je ne peux pas parler de ça à la place de Declan, mais c’était important pour moi de l’inclure dans le film et de le faire parler de son travail d’une manière qui situe sa pratique artistique comme critique sociale et culturelle, pénétrée d’analyse historique et de conscience de classe. Je trouve que le travail de Declan fait cela très bien, ce pourquoi j’ai trouvé le titre du film : Antenna.

Propos recueillis par Nathan Letoré

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Fiche technique

États-Unis, Irlande, Allemagne / 2022 / Couleur / 16mm / 9’

Version originale : anglais
Sous-titres : anglais
Scénario : Serge Garcia
Image : Serge Garcia
Montage : Serge Garcia
Son : Serge Garcia
Avec : Declan Clarke
Production : Declan Clarke (Trouble Pictures).
Filmographie sélective : A General Disappointment, 2022
Cycle One, 2021
Grand Central Hotel, 2021
El Patojo, 2020
Noncompliant, 2019
Gordo As Gordo, 2019
A Child Of House: Shaun J.Wright, 2019 Jackie House, 2018.

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR