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LE PASSAGE DU COL

THE CERVIX PASS

Marie Bottois

Marie Bottois
En 1973 était créé le MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception). Certaines procédures médicales, alors clandestines quant à l’avortement, pouvaient être filmées à titre d’information et d’autoformation des femmes. Dans Le Passage du col, l’actrice et réalisatrice Marie Bottois met en scène la pause d’un stérilet sur son propre corps. Avec humour et rigueur plastique, elle prolonge précisément la lignée militante et féministe de Y’a qu’à pas baiser (Carole Roussoupolos, 1971). Son film s’impose ainsi comme document, morceau d’Histoire, à l’heure où le droit des femmes à disposer de leurs corps et à avorter est battu en brèche de par le monde. (Claire Lasolle)

Entretien avec Marie Bottois

Votre film nous ramène à l’histoire du féminisme dans les années 70, et particulièrement à l’histoire du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception). Quelle a été la genèse de votre projet ?

Le projet est intimement lié à un collectif féministe – la Poudrière – qui regroupe en non-mixité des femmes du laboratoire de cinéma argentique l’Etna (Montreuil). Au sein de ce collectif, je me suis formée au tournage en pellicule tout en recherchant avec les autres membres à fabriquer des images de nos corps et de nos imaginaires en rupture avec les représentations dominantes. Dans nos réalisations, nous nous mettons en scène et passons à tour de rôle devant et derrière la caméra. Le malaise que j’éprouvais à exposer mon corps face à un objectif s’est inscrit dans une recherche collective et a commencé à prendre une dimension politique. Sans ces premières expériences, je n’aurais jamais osé imaginer Le passage du col.
Une des membres du collectif, Anna Salzberg, était en train de réaliser un film sur le mouvement féministe des années 70 – Le Jour où j’ai découvert que Jane Fonda était brune. Elle nous a apporté des photographies d’auscultations gynécologiques trouvées dans les archives du MLAC de Gennevilliers. Les visages autour des sexes ouverts étaient souriants, les femmes se tendaient des miroirs. Ces images portaient à la fois une dimension d’éducation anatomique et la possibilité d’avoir prise sur son corps dans un contexte de soin. Elles m’ont parlé d’autonomie, de simplicité, de nécessité à connaître son corps et son sexe. J’aurais aimé voir ces images plus tôt. Comme beaucoup d’autres, j’ai vécu des expériences gynécologiques douloureuses où je m’étais sentie dépossédée et démunie face à l’autorité médicale. J’ai alors commencé à imaginer un film qui raconterait cette violence en montrant la possibilité de s’affirmer et de se dresser contre elle. Dans le même temps, je suis allée voir une sage-femme pour le renouvellement de ma contraception et j’ai rencontré Léna Alembik. Pour la première fois, j’étais face à une soignante respectueuse, qui m’expliquait tous ses gestes et me demandait avant chacun d’eux si j’étais prête, si elle pouvait me toucher, comment je me sentais. C’était un rendez-vous médical idéal, où le mot consentement avait un sens pratique. Il m’a semblé que le film se trouvait là, dans la relation de soin qui s’était établie entre nous deux, au sein même du cabinet médical.

De par l’opération intime que Le passage du col convoque, un examen gynécologique, l’on peut supposer que certaines scènes ont été réalisées en une prise. Le choix du 16mm découle-t-il de cette réalité ?

En effet la pose du stérilet ne pouvait pas être rejouée et la plupart des plans ont été faits en une seule prise. Chaque plan avait été pensé et répété en amont et ils sont presque tous montés dans le film. Comme je suis dans une économie d’autoproduction, il était donc possible d’envisager une réalisation en pellicule sans que cela ne me revienne trop cher. Par ailleurs, j’ai utilisé les moyens techniques des laboratoires de cinéma partagés l’Etna et l’Abominable, ce qui a limité les coûts de tournage et de développement. Cela dit, je n’ai jamais imaginé tourner ce film en numérique.
Le choix de la pellicule s’est imposé parce que c’est au cours de nos recherches avec les membres de la Poudrière que j’ai trouvé ma place devant la caméra. Nos travaux en argentique ont été pour moi une émancipation vis à vis des représentations normées et le film s’inscrit dans la continuité de ce travail. Il y a aussi une question de pudeur dans le fait de ne pas pouvoir accéder immédiatement aux images tournées. J’ai découvert les images seulement deux mois après le tournage et quand elles sont sorties encore humides de la développeuse, j’étais la première à les voir ; ce qui était très émouvant et cohérent avec l’idée du film de retrouver prise sur mon corps et sa représentation.


Le film fonctionne sur un champ contrechamp vous mettant en scène avec votre sage-femme. Comment avez-vous écrit le film et la succession des plans ?

Le film a d’abord été écrit en deux parties, comme l’est une consultation médicale en général. Il y a l’entretien puis l’examen. La fin de la consultation puis la scène de rue ont été tournées dans un second temps, en rupture avec le huis-clos, pour marquer un retour au monde extérieur et inscrire le rendez-vous dans un quotidien.
J’ai pensé le film en champs contrechamps pour fabriquer la sensation qu’on passe d’un bord à l’autre, d’une place à l’autre. La relation de soin se tisse petit à petit dans l’attention, dans l’écoute, dans les échanges de regards. Les plans sont d’emblée plutôt serrés car ce qui se joue, la tension initiale qui se mue en confiance, s’inscrit dans les visages. Nous avons tourné avec deux caméras car je ne souhaitais pas que les plans d’écoute et les gros plans sur mon visage lors de la pose du stérilet soient (re-)joués. Le découpage était très précis afin que les cadreuses, Carole Grand, Frédérique Menant et Agnès Perrais, puissent être complètement autonomes pendant les prises.
Ce n’était pas seulement la relation de soin entre la soignante et la patiente qui m’intéressait mais également la mise en scène du regard que l’on peut poser sur son propre corps. Le film se noue quand la patiente et la réalisatrice ne font plus qu’une. C’est pour cela que j’ai gardé au montage certains « coupez », « moteur ». Il m’était inconcevable de filmer l’examen gynécologique d’une autre personne car je souhaitais montrer avant tout ce renversement de regards : la patiente-réalisatrice passe de l’autre côté de la table d’examen pour découvrir le point de vue de celle qui l’ausculte et cela se fait à travers l’œil de la caméra.

Vous vous êtes entourée de nombreuses complices. Pouvez-vous nous parler de la préparation du tournage ?

J’ai pu réaliser ce film parce que j’avais rencontré à la Poudrière des cinéastes avec lesquelles je me sentais en confiance et dont j’apprécie le travail. Devant elles, il me semblait possible de me mettre à nu et de poser les pieds dans les étriers ! Je leur suis très reconnaissante d’avoir accepté de travailler à mes côtés car une intervention gynécologique peut être difficile à regarder en direct et le tournage était comme une performance dont on ne pouvait prédire l’issue. Nous étions convenues que le tournage devait continuer si j’avais mal mais que je pouvais l’arrêter à tout moment. Elles aussi pouvaient dire si elles se sentaient inconfortables et souhaitaient l’interrompre. Certaines ne souhaitaient pas voir mon sexe lors de l’intervention et nous nous sommes disposées dans l’espace de façon à respecter ce choix. Nous avions répété en amont les scènes comme pour une fiction.
A un moment, j’ai imaginé faire exister l’équipe de tournage à l’image mais il m’a semblé que cela emmènerait le film ailleurs. Je souhaitais qu’on sente la présence d’un corps collectif tout en gardant l’idée que le rendez-vous se passe au sein d’une institution médicale et non pas dans un contexte militant. J’ai donc demandé à la preneuse de son, Perrine Michel, de ne pas couper entre les prises pour avoir une matière sonore à travailler au montage. C’est une pratique que nous avions déjà à la Poudrière et qui est sans doute liée au travail avec la pellicule. La préparation des plans prend beaucoup de temps quand on n’a pas de retour vidéo. Il faut bien mesurer la lumière, anticiper tous les mouvements et on sait qu’on ne multipliera pas les prises. Dans les interstices sonores, on perçoit la concentration, l’attention des unes aux autres et aussi l’aspect un peu cocasse de la situation. La position de la réalisatrice qui dirige la mise en scène à moitié nue et un spéculum dans le vagin ne manquait pas d’humour. Il me semble que la présence de rires ou de phrases telles que « Est-ce que tout le monde est prêtes ?» permet également d’accompagner en douceur les spectateurs·rices vers l’image frontale du sexe ouvert.

Propos recueillis par Claire Lasolle

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Fiche technique

France / 2022 / Couleur / 16 mm / 15’

Version originale : français
Sous-titres : anglais
Scénario : Marie Bottois
Image : Frédérique Menant, Agnès Perrais, Carole Grand
Montage : Marie Bottois, Young Sun Noh
Musique : Morgane Carnet, Blanche Lafuente
Son : Perrine Michel, Agnès Perrais, Delphine Voiry Humbert
Avec : Léna Alembik
Production : Marie Bottois
Filmographie : Slow-ahead, 2015
Histoires de France partie 2, 2013.