• Compétition Flash

HOUSE OF LOVE

Pierre Creton

Pierre Creton
D’amour, des films comme Va, Toto ! (FID 2017) et Le bel été (FID 2019) l’étaient radieusement. La maison de Pierre Creton est, depuis La vie après la mort (2002) et L’Heure du Berger (FID 2008), le lieu cardinal de son oeuvre. House of love : de cette oeuvre, c’est au coeur secret, au plus intime de la matrice que nous introduit ce film bref d’une allure si nouvelle. Trois panoramiques circulaires se succèdent dans trois intérieurs. La caméra, posée au centre de la pièce, enchaîne les rotations. À chaque plan est associée une pièce musicale, qui remplit de sa pleine durée l’espace sonore. Si image et musique s’accordent ainsi, c’est que Creton a posé sa caméra sur un tourne-disques, parfait pied motorisé. Simple et géniale opération, qui fait du disque une caméra, qui dote la musique du pouvoir d’enregistrer le passage du temps et des êtres, les variations du visible au fil de son écoute. Car une multitude d’événements viennent accidenter la rotation monotone : variations de la lumière, mouvement de la végétation dans le vent par la fenêtre, libre et pleine présence des animaux, passages furtifs d’humains comme des spectres. Ombres et reflets des vivants et des morts, également présents et absents entre les murs qui ont gardé le souvenir de l’amour, d’heures passées à s’étreindre ou à écouter des disques. La bande-son d’un porno gay se glisse entre les grincements de porte de Pierre Henry et la chanson de la deuxième maison. Dans la troisième, c’est le choeur final de la Passion selon Saint Matthieu qui invite à se recueillir autour du tombeau, dans l’attente d’un retour. À chaque tour de la caméra, un monde intime illimité naît, meurt et ressuscite. Les maisons de l’amour sont aussi des monuments aux morts, passés ou à venir. Sexe et mort, chambre secrète où se nouent art et vie. Ascèse, régularité, retrait : cette forme nouvelle est aussi celle de la pudeur nécessaire à qui se risque sur le seuil d’une telle chambre.
(Cyril Neyrat)

Entretien avec Pierre Creton

1. Ce film bref, succession de trois panoramiques circulaires dans trois espaces intérieurs, présente une logique formelle tout à fait nouvelle dans votre œuvre. Quelle en a été l’impulsion ? Qu’est-ce qui a déterminé le choix de cette forme circulaire rigoureuse, répétitive ?
Je crois (mon tort est de ne pas prendre de notes, ou alors le film sont ces notes) que je suis parti d’un souvenir que j’ai eu envie de mettre à jour. « Se souvenir » est déjà tout un programme… Alors, j’ai pensé que ce serait un film sur le temps : Passé, présent ; pourquoi pas un futur ? J’ai pensé que ce serait comme un film de science fiction où le temps n’a pas prise. Ce souvenir : Une relation amoureuse avec un jeune homme de mon âge, étudiant en cinéma. Il avait filmé de longs plans fixes dans une maison vide sur Variation pour une porte et un soupir. Je suis donc parti du souvenir de son film qui sans doute n’existe plus (c’était un devoir pour l’université et il n’a plus fait de films par la suite). La forme était le projet même du film : Panoramiques à 180° / Musiques associées à chacune des maisons. Toutes ces musiques que j’écoute en vinyle sur un tourne-disque ont certainement influencés la forme du film.

2. On reconnaît dans le premier travelling votre maison, une pièce maintes fois filmée dans de précédents films. Vous investissez ici, en plus de celle-ci, deux autres maisons. Qu’est-ce qui justifie leur choix, qu’est-ce qui les relie ?
L’amour.

3. Le mouvement régulier des travellings circulaires laisse deviner l’emploi d’une machinerie. Mais les variations de la lumière impliquent une manipulation, la vôtre. Pouvez-vous éclairer la fabrication du film ? Quelle en fut la part mécanique, la part humaine ?
J’ai recommencé les prises de vues plusieurs fois, ce n’était jamais suffisamment satisfaisant. D’abord j’ai procédé manuellement, faisant les panoramiques à la main, plein de saccades. J’ai essayé avec un plateau tournant de fortune dont le coté mécanique, même avec ses légères irrégularités, m’a tout de suite convaincu. Pendant que la camera tournait toute seule, j’ai improvisé une circulation dans les pièces ouvrant et fermant des lumières et des portes. Je me suis sans cesse fait piéger par mon reflet dans les vitres ou mon ombre sur les murs que j’ai finalement décidé d’assumer. Peut-être aussi ai-je fini par les associer aux passages des animaux…

4. Pouvez-vous commenter ces subtiles et parfois fortes variations de la lumière, qui s’opposent au mouvement monotone des travellings ?
Je ne sais ce qui m’a poussé à intervenir sur la monotonie des panoramiques en jouant sur les lumières. La peur de l’ennui ? Le goût de la fiction ? Parce que certainement à chaque déplacement dans l’espace (et le temps) on peut se raconter des histoires. C’est comme si en quelques minutes, des journées, des saisons et des années passaient.

5. Les pièces où se déroulent ces travellings semblent désertées par leurs habitants. Pourtant des silhouettes humaines apparaissent furtivement, ombres sur les murs ou reflets. Des maisons hantées, à nouveau ?
Pour la première maison, ma maison, elle, reste fidèle au fantôme de Jean Lambert. Pour les suivantes, j’ai eu recours à la mise en scène, elles sont faussement désertées. Elles sont des maisons vivantes, d’amants bien vivants.

6. La succession des plans s’accompagne d’une succession de plages sonores – d’un morceau de musique concrète de Pierre Henry à un extrait de la Passion selon Saint-Matthieu de Bach, en passant par ce qui semble être la bande-son d’un film porno. Pouvez-vous commenter ces choix, et la manière dont vous avez associé les plages sonores aux lieux filmés ? Plus généralement, comment avez-vous pensé et conçu le son de ce film ?
Variation pour une porte et un soupir de Pierre Henry est à l’origine du désir de faire ce film. Cette musique associée à la maison de Vattetot-sur-mer était une manière de revenir à Jean Lambert dans L’heure du Berger et à deux de ses protagonistes : ceux qui habitent les maisons de House of Love. Dans la deuxième maison, chez Pierre B. j’ai accordé le son synchrone de la pièce (l’horloge) avec la bande son d’une vidéo porno et à Confinement de Jozef Van Wissem. Le choix de ce titre était un moyen d’évoquer le confinement qui m’a empêché de finir et de proposer mon film l’année dernière au FID. Comme personne, je n’avais pu imaginer et anticiper le confinement où tant de gens ont tourné en rond dans leur intérieur. Situation par ailleurs rêvée pour moi depuis l’enfance : Solitude, silence. Dans la troisième maison, chez Vincent B., les oisons élevés à l’intérieur appelés par de vieilles oies dehors, sont associés à La Passion selon Saint-Matthieu de Jean-Sébastien Bach ; avec l’évidence d’une musique adorée, partagée. Mais finalement, le son du film (la bande son) serait celui presque imperceptible du plateau tournant et de sa mécanique.

7. House of Love, au singulier, alors qu’il y a trois maisons. Mais ce titre est aussi le nom d’un groupe de pop anglaise des années 90. Pouvez-vous commenter ?
Oui, il y a plusieurs maisons. Mais c’est chaque fois : Une maison. Et c’est la singularité de chacune qui m’importe, d’où le singulier. Le titre est venu tout de suite, peut-être même est-il arrivé avant tout. Il ne fait pas référence au groupe anglais que je ne connaissais pas. Il me semblait bien sonner et mieux résonner avec la bande son de la vidéo porno anglo-saxonne. Et puis House of Love c’est comme Yes Sir ! Je crois que même si l’on ne parle pas anglais, n’importe qui peu le comprendre.

Propos recueillis par Cyril Neyrat

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Fiche technique

France / 2021 / 21’

Version originale : Pas de dialogue.
Scénario : Pierre Creton.
Image : Pierre Creton.
Montage : Pierre Creton.
Son : Pierre Creton.
Production : Pierre Creton.
Filmographie : La cabane de dieu, 2012-2020. L’avenir le dira, 2020. Le bel été, 2019. Un dieu a la peau douce, 2019. Va, Toto !, 2017. Sur la voie critique, 2013-2017. Simon at the crack of down (réalisé avec Vincent Barré), 2016. Petit traité de la marche en plaine (réalisé avec Vincent Barré), 2014. Sur la voie, 2013. Le Marché, petit commerce documentaire, 2012. Côté jardin, 2011. Le grand cortège, 2011. N’avons-nous pas toujours été bienveillants ? (recueil), 2010. Deng guo Yuan, in the garden, 2010. Aline Cézanne, 2010. Le paysage pour témoin, rencontre avec Georges-Arthur Goldschmidt, 2009. Papa, Maman, Perret et moi, un appartement pour témoin, 2009. Maniquerville, 2009. L’heure du Berger, 2008. Mètis (réalisation Vincent Barré), 2007. Les vrilles de la vigne, 2007. L’arc d’Iris, souvenir d’un jardin (réalisé avec Vincent Barré), 2006. Paysage imposé, 2006. Le voyage à Vézelay, 2005. Détour suivi de Jovan from Foula (réalisé avec Vincent Barré), 2005. Secteur 545, 2004. Le soleil les regarde (recueil), 2002. Une saison, 2002. La vie après la mort, 2002. La tournée, 1997. L’assujetti, 1999. Mercier et Camier (réalisé avec Sophie Roger), 1998. Sept pièces du puzzle néolibéral, 1997. Le vicinal, 1994. Soleil, 1988.

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR