Lucy Kerr
« Il y a toujours ce contraste paradoxal entre la surface d’une image, qui semble sous contrôle, et la fabrique de sa production, qui contient inévitablement, à quelque degré, de la violence. » Cette citation d’Edward Said ouvre ce film simple et dense, manifeste de la complexité des images, décliné en trois temps.
1. Écran noir sur lequel une voix de femme raconte très posément le récit de la préparation puis de l’effectuation d’une cascade sur un tournage : une voiture et ses deux passagers chutent d’une falaise dans l’océan.
2. Tandis que la voix poursuit sa description du tournage et des risques mortels réels qui y sont pris, des vagues qui s’écrasent contre des rochers apparaissent en plan fixe. On comprend aussi que le noir initial, loin d’une coquetterie avant-gardiste, évoquait plutôt « la panique d’être coincée sous l’eau, dans le noir. » Du même coup, au fur et à mesure que la voix progresse, les vagues changent de signification. Bien autre qu’un simple décor naturel, elles apparaissent comme des broyeuses, à l’image de l’économie qui les
filme. Puis elles deviennent l’allégorie mouvante de la colère retenue de la réalisatrice : « poser des questions, c’est ça la vraie force… », dit la voix. Puis, métamorphose encore, les vagues figurent l’amour neuf entre ce couple de cascadeurs. Puis, le soulagement après l’action réussie. Puis la voix se tait et laisse les vagues seules, retournées simples flots, libres de commentaire après cette tempête de mots.
3. L’intérieur d’un décor : l’eau de l’océan est devenue suintement de douches, une jeune femme suspendue au plafond s’anime de gestes de possédée, tournage d’un épisode télé de l’Exorciste.
C’est bien sûr l’enchaînement de ces trois temps, la rigueur impeccable, impressionnante, de cette mécanique qui saisit. Très rare opération : cinéma à plein régime, passion du cinéma (qu’incarne cette possédée) exactement superposée et simultanée à l’analyse de ses conditions de possibilité. On attend avec impatience les futurs épisodes.
(Jean-Pierre Rehm)
- Compétition Flash
- 2021
-
Compétition Flash
CRASHING WAVES
Lucy Kerr
-
Compétition Flash
Fiche technique
États-Unis, Russie, Lettonie / 2021 / 19’
Version originale : anglais.
Scénario : Lucy Kerr, Jess Harbeck.
Image : Alexey Kurbatov.
Montage : Lucy Kerr, Kārlis Bergs.
Son : Lucy Kerr, Sara Suárez.
Avec : Jess Harbeck, Court Schwartz, Kelli Scarangello.
Production : Lucy Kerr (None).
Filmographie : Sensible Ecstasy, 2019. Lydon, 2018.
- Autres films / Compétition Flash