« L’absence est terrifiante et parfois nous avons besoin de la combler en racontant des histoires ». Tel est le prologue de Podesta Island, du nom de cette île fantôme située sur les côtes chiliennes. Découverte en 1879 par un certain capitaine Pinocchio, l’île a ensuite été rayée des cartes en 1935 après que personne n’a pu retrouver sa trace. Plus que de l’existence véritable de cette l’île, ce sont des enjeux liés à la croyance de sa présence dans le Pacifique que traite ici Stéphanie Roland, elle-même issue d’un territoire insulaire, dans un film nimbé de bleu et de présences invisibles. De l’histoire à la géopolitique, en passant par la mythologie, la réalisatrice sillonne différents registres et matières d’images, et, instillant le doute, plonge le spectateur en terra incognita. Fine exploratrice, elle mêle des images des côtes où elle a tourné, prises par satellite, à des plans de détails de roche ou à la rouille d’un bateau, dans une confusion des échelles et des reliefs. Et, quand une image de mer apparaît, laissant deviner les contours de l’île, un lent travelling arrière dévoile progressivement les bords d’un panneau qui se découpe dans le paysage : ce que l’on croyait être l’île au loin apparaît comme une projection de l’esprit sans prise avec la réalité. Par l’entremise des images et du son, Stéphanie Roland pose la question de l’oubli et de la disparition dans un monde entièrement cartographié. Ainsi de ces trois personnages, dont on comprend après coup qu’ils sont les rescapés d’un naufrage, réfugiés sur l’île Podesta. En particulier, cette jeune femme qui aimerait pouvoir oublier ses souvenirs, et devenir plusieurs personnes à la fois, elle qui, comme l’île, est petite et « ne prend pas beaucoup de place ». Oublier. Se séparer de soi et recommencer. Si l’image tremblante d’une mer déchaînée semble alerter sur les limites de la démesure des hommes, cette secousse finale est aussi le lieu d’un possible renouveau.
(Louise Martin-Papasian)