Une première conversation sur internet – il y en aura deux. Une jeune femme répond à un ordinateur d’où sort la voix d’un homme, sans doute son père. Dehors, la nuit, et les immeubles, où brillent des douzaines de fenêtres semblables à celle-ci. La conversation nous fournit la clé : la Covid a frappé la Chine, tout le monde se terre chez soi et regarde des films.
Encadré par deux conversations avec le père absent, A Peaceful Divorce s’attache aux espaces et aux gestes du quotidien du confinement. La réalisatrice filme le salon, la cuisine, les fenêtres qui reflètent l’intérieur plutôt qu’elles ne suggèrent l’échappée vers le dehors. La mère se teste avec une machine d’usage compliqué, le beau-père fait la cuisine. Mais des images d’une texture différente viennent dérégler cet enregistrement du quotidien : un homme autre est vu dans la même cuisine souriant à la caméra avant de goûter un fruit, une réjouissance familiale avec des visages différents voit la jeune femme faire des grimaces à la caméra. La deuxième conversation avec son père viendra éclairer l’enjeu du film : traiter du divorce de ses parents, qui la mène à être confinée avec sa mère mais sans son père, présent seulement par la voix. Le mélange d’images se révèle alors comme une stratification de temps, une invocation du père aimé et absent, par des images enregistrées à une autre époque. L’enjeu ? Transformer l’expérience vécue en matière filmique, le manque affectif en réseau d’images. (N.L.)
Sidi Wang
Présentation du film par la réalisatrice
- Compétition Flash
- 2020
- Compétition Flash
- 2020
散买卖不散交情 A Peaceful Divorce
Durant la première conversation avec votre père, vous filmez seulement votre reflet dans la fenêtre. Mais au cours de la seconde conversation, vous apparaissez directement à l’écran : pourquoi ce changement dans la façon de vous montrer ?
Les deux conversations sont en fait tirées d’un seul appel téléphonique assez long, coupé en plusieurs parties. Avant le tournage, je ne pensais pas modifier la position de la caméra. Je pensais simplement enregistrer la conversation, et j’ai suivi mon instinct pendant que je filmais. Avec le recul, je ne dirais pas que j’ai choisi intentionnellement ces positions de caméra, mais plutôt qu’elles reflètent mes sentiments et mes émotions sur le moment. On sent qu’il y a encore une certaine distance entre mon père et moi, au début de la première conversation. Plus tard, quand il aborde un sujet qui nous intéresse tous les deux, je me sens plus proche de lui, et donc inconsciemment je me déplace, je bouge la caméra et la dirige vers moi.
Votre film contient aussi d’anciennes images, qui semblent montrer votre père, votre mère et vous-même à un plus jeune âge. Pouvez-vous expliquer d’où elles viennent, et pourquoi vous avez choisi de les utiliser ?
Par chance, ma mère a conservé beaucoup de films de famille tournés du temps de mon enfance. Mes parents ont divorcé quand j’avais six ans, et par la suite plus rien n’a été filmé. Il y a deux ans, j’ai regardé ces films et je me souviens avoir pleuré à chaudes larmes, tant j’étais envahie de sentiments contradictoires. Pendant des années, je me suis dit et j’ai dit aux autres que le divorce de mes parents ne m’affectait pas, parce qu’ils m’aimaient tous les deux et que cela me suffisait. Mais me voir avec eux lorsque j’étais enfant, c’était tellement étrange que ça en devenait effrayant. On voit clairement que leur façon de regarder la caméra change au fil des années (c’est en fait leur façon de se regarder mutuellement, puisque l’un d’eux tient toujours la caméra) ; on voit bien qu’ils font semblant de rire devant moi, alors que leur couple bat de l’aile. J’ai toujours pensé que ces films devaient me revenir, en quelque sorte, puisqu’ils montrent mon enfance. Mais plus tard j’ai réalisé que rien dans ces images n’appartient réellement à mes souvenirs, j’ai oublié la plupart de ces événements, même après avoir revu les films. En réalité, il s’agit plutôt des souvenirs de mes parents, c’est eux qui ont soigneusement tenu la caméra et enregistré ces images, qui reflètent leur regard. J’ai eu envie de partager ces images personnelles, mais pas de façon narcissique. Puisque dans mon film, c’est moi qui tiens la caméra, j’ai décidé de réutiliser certaines images de mes parents, de mêler leur regard au mien, et de voyager dans le temps.
Votre père n’apparaît que dans le passé. Pourquoi ne pas l’avoir montré aujourd’hui, par exemple sur un écran d’ordinateur ?
Je suis retournée en Chine au mois de janvier après avoir obtenu mon diplôme aux États-Unis. Quelques semaines à peine après mon retour, le Covid-19 s’est déclaré, et je suis restée coincée des mois à la maison. Je me suis rendue compte que je passais 24 heures sur 24 avec ma mère et mon beau-père, mais pas un seul instant avec mon père. Cette séparation forcée m’a rappelé mon enfance. Le fait que ma mère et moi partagions le même espace physique chaque jour (ce qui est nouveau pour moi, car j’ai passé six ans seule aux États-Unis), m’a poussée à m’interroger sur la place de mon père dans ma vie. Je me suis dit que, puisque je ne pouvais pas le rencontrer en personne pendant l’épidémie, je pouvais peut-être faire un film sur sa présence sans le filmer, sans partager le même espace. Je dirais même que l’idée de ne pas le montrer dans le présent m’a justement poussée à faire le film.
Vous choisissez de montrer votre famille ensemble, comme un groupe de personnes partageant le même espace, plutôt qu’individuellement. Pouvez-vous commenter ce choix ?
Je suis ravie qu’on puisse le remarquer. Je pense que cette période d’isolement forcé a considérablement accentué ma sensibilité à l’espace. Dans le cinéma asiatique, de nombreux auteurs (comme Edward Yang, que j’apprécie particulièrement) aiment montrer leur famille comme des individus isolés partageant un même espace. Mais quand je me suis mise à filmer ma propre famille, j’ai remarqué que même quand j’essayais de filmer seulement ma mère, mon beau-père ou mon frère apparaissaient régulièrement de manière furtive ou traversaient le cadre, parce qu’ils s’intéressaient à ce que je faisais. Ou bien, alors que j’essayais de ne filmer que mon beau-père, on entendait encore la voix de ma mère dans le fond. Même si je n’ai pas cherché volontairement à montrer que j’ai une famille aimante, je pense que les gens le ressentent quand ils voient la façon dont nous partageons l’espace.
Propos recueillis par Nathan Letoré
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Fiche technique
Chine / 2020 / Couleur / HD, Stereo / 19’
Version originale : chinois.
Sous-titres : anglais, français.
Scénario : Sidi Wang.
Image : Sidi Wang.
Montage : Sidi Wang.
Son : Sidi Wang.
Avec : Zhimei Wen, Xudong Wei, Sidi Wang, Bowen Wen.
Production : Sidi Wang, Yellow-Green Pi (Ryuji Otsuka), Yellow-Green Pi (Ji Huang).
Distribution : Sidi Wang.
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