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LES YEUX REMPLIS DE NUIT

Marie Alberto Jeanjacques

Marie Alberto Jeanjacques
Adaptant librement un texte de Virginia Woolf, Marie Alberto Jeanjacques en reprend pour méthode une déclaration : « il y a un grand soulèvement de la matière. » Et pourtant telle agitation, décrite presque sans relâche, audible aussi au son comme une rumeur peuplée et incessante (d’une voix de chirurgienne à opérer, autant que celle de Lonsdale), demeure un secret bien gardé. Secret disséminé dans les décors, intérieur et de plein air, secret abrité aussi par la diction souveraine et les gestes de l’actrice Laure Lucile Simon. C’est de maintenir à son plus haut la puissance d’émerveillement qu’il est question ici, sur film, dans des couleurs qui sont celles d’un temps encore à naître.
(Jean-Pierre Rehm)

Entretien avec Marie Alberto Jeanjacques

Les yeux remplis de nuit est une adaptation libre de la nouvelle « La marque sur le mur » de Virginia Woolf. Quelle est l’origine de ce film et d’où vient ce titre ?
Rien d’autre que la rencontre avec cette nouvelle qui a résonné pendant plusieurs années. Fixer une forme et basculer dans un état de rêverie est une chose très commune que tout le monde, à sa manière, a plus ou moins expérimentée. Il me semble que cet imaginaire, ce temps-là propre à chacun est d’une richesse inouïe. Ce qu’il s’y passe est fondamental si nous nous y attardons un peu, et reste alors peut-être encore une issue accessible à tout le monde pour s’arracher parfois au réel. Ma tentative était de faire un film qui aurait cette forme-là. Les yeux remplis de nuit, un vers de Góngora.

Au son, le texte de Woolf interprété par l’actrice Laure-Lucile Simon – en off, en direct, ou enregistré – alterne avec la voix d’une chirurgienne décrivant les gestes d’une opération. Comment avez-vous envisagé ce parallèle entre ces deux voix, ces deux récits ?
J’ai créé cet espace de narration autour de l’opération qui n’existe pas dans la nouvelle pour déployer une ouverture vers un état de latence, pour rentrer au plus près de la fabrication des images par le regard.

Vous avez filmé en 16 mm, en format 4 :3 et les déplacements se font quasiment exclusivement en travelling latéraux. Pourriez-vous revenir sur le choix de ce dispositif ?
Les travellings sont un prolongement de l’écriture, interrompus par des formes de surgissement. Les lents travellings avant sur les fragments d’objets offrent une dilatation du temps accordé à l’observation et j’espère même amener à entendre leur voix muette. Le 4:3 m’a paru un choix pictural se rapprochant du cadre en peinture.

A un moment, on entend la voix de Michael Lonsdale qui parle de peinture. Pourquoi avoir inclus cet extrait ?
Peut-être parce que pour moi, la peinture est l’endroit de la grande consolation. Certaines voix aussi produisent cet effet sur moi, notamment celle de Michael Lonsdale.

A la fin du film, une transition s’opère, de la couleur au blanc, de la lumière artificielle à la lumière naturelle, du décor de cinéma au décor de la ville. Pourriez-vous revenir sur ce mouvement ?
Ce mouvement est un dévoilement, un soulèvement des paupières.

Propos recueillis par Louise Martin Papasian

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Fiche technique

France / 2021 / 25’

Version originale : français.
Scénario : Marie Alberto Jeanjacques.
Image : Aurélien Py.
Montage : Cédric Putaggio.
Musique : Nicolas Gerber.
Son : Nicolas Gerber.
Avec : Laure Lucile Simon, Isabelle Mouchard.
Production : Marie Alberto Jeanjacques (Marie Alberto Jeanjacques), Nicolas Gerber (Objet Direct).
Filmographie : Dezir, L’Eperdu, 2017. S’il en reste une, c’est la foudre, 2016. Incanta, 2010. Gimmick, 2007. Fabula, 2006. Ronda, 2005. Suerte, 2002.

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE