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DES ENFANTS ET DES RUINES

Alain Mazars

Alain Mazars
Le titre livre l’essentiel : avenir articulé au passé. Filmés en 16 mm dans un décor de ruines sous une lumière éclatante, un gamin mutique et une fillette peu loquace sont les protagonistes de cette très belle ritournelle cinématographique. S’y ajoute un adulte, silhouette inquiétante dont on ignore la nature. Le cinéma primitif est évidemment le grand modèle ici, et qui nourrit avec force chacun des plans : abstraction, jeu appuyé de contrastes, répétitions, économie narrative. Expérience labyrinthique et envoûtante, c’est de foi qu’il retourne, celle dans un cinéma qui revendique le mystère, et auquel Alain Mazars nous convie avec conviction.
(Jean-Pierre Rehm)

Entretien avec Alain Mazars

Vous revenez à une veine plus expérimentale de votre œuvre avec Des enfants et des ruines. Quel était le projet de ce film ?
Je m’interroge sur les rapports entre l’imaginaire et la rationalité. L’énigme constituée par la vie onirique m’a amené à considérer que la réalité se cache derrière des réalités multiples. Il y a un monde apparent, visible par tous, et d’autres mondes possibles, suggérés par notre inconscient. Je cherche à susciter un état de réceptivité particulier chez celle ou celui qui regarde le film.

La narration est portée par la voix d’une petite fille. Quel statut a-t-elle ?
D’où provient notre désir de narration face à un film ? Pour moi, ce désir de récit relève de cette attraction primitive des petits enfants pour les contes. A travers la voix de la petite fille, je tente de retrouver des traces de ce regard sur le monde qui était le mien quand j’étais un petit enfant de cinq ans.

Quel est le lieu du tournage et pourquoi avoir choisi ces ruines ?
Il y a trois lieux en Espagne : Madrid, les alentours de Tolède et d’Almería. Le point de départ du film, ce sont les ruines. Pourquoi des ruines ? Parce qu’elles représentent visuellement une aspiration à reconstruire un autre monde à partir de l’ancien. Comment un enfant peut-il procéder à cette reconstruction à partir d’un récit où le sens fuyant de tout ce qui l’entoure est à réinventer ?

Comment avez-vous élaboré ce récit onirique ?
Dans ce film, les enfants voient en fermant les yeux sur le réel immédiat à travers le rêve et les fictions qu’ils inventent, établissant des relations secrètes entre les choses. Ce film renoue avec cet esprit du surréalisme qui s’est exprimé ponctuellement dans le cinéma muet. La référence au rêve éveillé tel qu’il est décrit par les surréalistes est intervenue ici à chaque étape de la réalisation : dans la façon dont le film a été conçu, tourné, monté et sonorisé.

Pourquoi cette structure en boucle, répétitive ?
Le récit de la fillette raconte l’histoire de son petit frère mais elle s’interrompt à plusieurs reprises pour reprendre son récit sous un autre angle. Le film progresse de la même manière, de sorte que les retours en arrière, la multiplication des approches récurrentes créent une espèce de labyrinthe qui dit la difficulté d’appréhender le sens et dont on ne peut sortir qu’à travers un parcours initiatique. Le sens fuyant de ce qu’on voit et entend est toujours différé.

Comment avez-vous travaillé le son et la musique en particulier ?
Ma fille, Jessica Mazars, qui est musicienne, compose les musiques de tous mes films depuis une dizaine d’années. Pour ce film, je lui ai demandé de procéder en fonction de ce qu’elle ressentait face à des séquences que je lui décrivais avec précision. Partant de l’idée que les films les plus stimulants pour notre imaginaire sont ceux qu’on ne voit pas, j’ai décidé qu’elle ne verrait pas les images tournées, pour que son imagination musicale puisse s’exercer avec plus de liberté. La bande-son est aussi constituée d’une musique additionnelle de Llorenç Barber pour une séquence particulière ainsi que de bruitages et enregistrements sonores que j’ai effectués moi-même au cours de la postproduction du film.

Pourquoi avoir choisi de tourner en 16 mm et en noir et blanc ?
Je ne pouvais pas imaginer le film autrement que sur pellicule argentique. Je voulais communiquer cette sensation qu’on pourrait avoir en fouillant dans un vieux grenier si on découvrait par hasard une copie 16 mm détériorée par les moisissures d’un vieux film du temps du muet. Je précise que les rares trucages du film ont été effectués à l’intérieur de la caméra au moment de la prise de vues.

Des enfants et des ruines pourrait être un conte sans morale. Comment l’interpréter ?
Ce film est une traversée des apparences où le sens du réel est remis en question. Je tente de stimuler l’imaginaire de celle ou celui qui assiste à la projection. Voir ce film comme un conte sans morale est une interprétation très intéressante.

Propos recueillis par Olivier Pierre

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Fiche technique

France / 2021 / 66'

Version originale : français.
Scénario : Alain Mazars.
Image : Alain Mazars.
Montage : Alain Mazars.
Musique : Jessica Mazars, Llorenc Barber.
Son : Alain Mazars.
Avec : Cristina Farnié, Diego Farnié, Thaïs Garrigues, Alexandre Garrigues, Llorenc Barber.
Production : Alain Mazars (Alain Mazars).
Filmographie : Douglas Sirk (de l’autre côté du miroir), 2017. Tod Browning, le jeu des illusions, 2016. Jacques Tourneur, le medium, 2015. Tout un monde lointain,2015. Une histoire birmane, 2014. La Chine et le Réel, 2012. Lignes de vie, 2010. Le mystère Egoyan, 2010. Sur la route de Mandalay, 2009. Phipop, une histoire Lao, 2005. L’école de la forêt, 2002. La moitié du ciel, 2000. Ma soeur chinoise, 1994. Printemps perdu, 1990. Le pavillon aux pivoines, 1988. Au-delà du souvenir, 1986. Lhassa, 1985. Actus, 1984. Visages perdus, 1983. Souvenirs de Printemps dans le Liao-Nig, 1981. Le jardin des ages, 1982.

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