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De Vez Em Quando Eu Ardo

Avec Fendas (FID 2019) le cinéaste brésilien Carlos Segundo signait un long-métrage unique en son genre, rigoureux et échevelé, S.-F. a minima et méditation amoureuse, réflexion sur l’image et le son, fiction brillante dont les protagonistes étaient des femmes. Dans ce dernier bref opus, De temps en temps je brûle, son héroïne est à nouveau une femme, photographe, qui envisage son métier de manière bien particulière, à employer la technique ancienne du sténopé. S’y mêlent du coup de façon entière et sensuelle les corps, la photographie et le cinéma. En un temps aussi ramassé qu’une séance de prise de vue, Segundo parvient à glisser, sans aucun jugement, des commentaires sur la société brésilienne au milieu d’une spéculation profonde, et toujours enjouée, sur la fabrication et la signification de ce qu’on appelle une image. Lier ainsi, dans une solidarité en pied-de-nez aux normes, la féminité et l’image, voilà qui n’est pas mince affaire, surtout quand, comme Segundo, on est convaincu que l’art est en mesure de tenir tête. (J.-P.R.)

À l’occasion de la présentation de votre film précédent, Fendas, ici même au FIDMarseille (Compétition française, 2019), vous avez déclaré que « le processus de création menant à la conception de mes films commence toujours par une image ». Quelle image a inspiré De temps en temps je brûle ?

Oui, c’est souvent une image qui guide le processus créatif de mes films. Il en va de même pour « je brûle ». L’image des deux corps en train d’être photographiés, et ce que cela ferait de les voir du point de vue de l’appareil photo, a été le déclic. Ensuite, je commence toujours par chercher une histoire autour de cette image. Qui est la femme derrière cette expérience ? Quel conflit symbolique pourrait guider cette histoire indirectement ? Comment cette histoire pourrait-elle compléter une trilogie déjà entamée ?

 

Comme votre film précédent, De temps en temps je brûle est aussi porté par un personnage féminin, Louise, une photographe qui « cherche la symbiose des corps ». Comme avez-vous élaboré ce personnage ? Comment avez-vous collaboré avec son interprète, Rubia Bernasci ? Et qu’en est-il de la trilogie ?

De temps en temps je brûle est le troisième volet d’une trilogie féminine, déjà composée des courts-métrages I still bleed inside [dont l’interprète principale est Roberta Rangel, aussi interprète de Fendas] et Subcutaneous. Ces trois films sont liés, directement et indirectement, à la Sainte Trinité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Il y avait donc déjà un mouvement du corps féminin dans les deux autres films, et celui-ci a servi de point de départ pour mon travail avec Rubia. À partir de là, nous avons composé ensemble ce personnage et ses caractéristiques. Les trois films finissent aussi par se compléter, ils comportent tous un corps féminin fort et résistant.

 

La quête de Louise consiste à saisir des images au moyen d’un dispositif rudimentaire de sa propre fabrication. Pourquoi ce choix ?

Louise conçoit l’art comme le lieu de l’imprévisible et de l’incontrôlable par excellence. Et ce rapport à l’art contribue à son expérience. Le sténopé, en tant que processus artisanal, fait précisément partie de ce résultat incontrôlé. La technique qu’utilise Louise met donc trois procédés artistiques en collision : l’art corporel, la photographie et le cinéma. Dans la déconstruction des corps qui se rencontrent et se mélangent, l’image émerge. « Je brûle » est donc un film qui aborde la déconstruction physique et symbolique.

 

On pourrait voir dans la rencontre et la symbiose entre les corps des protagonistes une rencontre entre deux univers particulièrement présents au Brésil, en conflit l’un avec l’autre aujourd’hui : d’un côté, le conservatisme de la tradition catholique, en lien avec le pouvoir ; et de l’autre, les revendications de groupes sociaux dominés et moins exposés, comme « les femmes noires, les lesbiennes, en difficulté dans les banlieues ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je ne vois pas les choses tout à fait de cette manière. Bien sûr, ces deux univers sociaux quasiment opposés sont représentés dans le film et dans l’entourage des deux personnages. Mais je pense qu’au moment de la rencontre et de la symbiose des corps, à cet instant précis, toutes les questions extérieures au corps sont abandonnées. Et c’est ce que je m’emploie à montrer. La suspension de toutes ces questions, c’est de cela que je parle. L’art comme une parenthèse dans l’existence. Au moment où Louise dit à Tereza de la regarder, une pause se fait. L’art a parfois le pouvoir de surmonter ces questions et de se heurter à nos subjectivités de façon inexplicable. C’est précisément ce que recherchent les deux personnages. Cette suspension est la raison d’être de cette performance. Et c’est pourquoi les deux protagonistes sortent transformées de cette expérience. Car l’art fait surgir quelque chose d’étrange, qui échappe à notre entendement.

 

En plus du thème de la rencontre, la question du corps, de la dimension physique, est récurrente dans votre œuvre. S’agit-il de sujets importants dans votre pratique artistique ?

Comme je le disais, ce film s’inscrit dans une trilogie qui a le corps féminin pour élément principal. Et dans ces trois films, le corps est présent en réponse à différentes formes de violence physique, sociale ou psychologique. Je montre des corps qui se dressent clairement contre différentes institutions : familiales, patriarcales ou religieuses. En ce sens, je pense en effet que le corps féminin, comme forme de résistance physique et symbolique, est l’élément principal de cette trilogie.

 

Ici, il est aussi question de corps qui brûlent et résistent. Pouvez-vous commenter le titre ?

Nous sommes immergés dans une société et dans un système qui essayent constamment de faire de nous des machines. Ce corps civilisé et domestiqué a pour seul objet le maintien de ce système. C’est pour s’opposer à cet état de fait que l’art existe. Pour être irresponsable et pour troubler notre subjectivité. L’art existe pour sortir l’être humain de ce confort artificiel. De temps à autre, nous avons vraiment besoin de nous brûler.

 

Propos recueillis par Marco Cipollini

 

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Fiche technique

Brésil, France / 2020 / Couleur / HD, Dolby Digital / 16’

Version originale : portugais.
Sous-titres : anglais, français.
Scénario : Carlos Segundo.
Image : Clovis Cunha.
Montage : Jérôme Bréau, Carlos Segundo.
Son : Leo Bortolin, Giovanna Duarte de Castro, Nelci José de Castro, Nemer José de Castro, Vincent Arnardi.
Avec : Rubia Bernasci, Carla Luz.
Production : Les Valseurs (Damien Megherbi, Justin Pechberty), O Sopro do Tempo (Carlos Segundo, Cristiano Barbosa). Distribution : Les Valseurs (Liyan FAN).

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR