• Compétition Flash

DAS HERZ DURCH WÜSTENEYEN RENNT – ARBEITSTITEL
THE HEART THROUGH DESERTS RUNS – WORKING TITLE

Garegin Vanisian

Garegin Vanisian
« On peut vivre sans richesse, Presque sans le sou. Des seigneurs et des princesses, Y’en a plus beaucoup. Mais vivre sans tendresse, On ne le pourrait pas. Non, non, non, non. On ne le pourrait pas ». C’est sous les auspices de la célèbre chanson La Tendresse de Marie Laforêt, que s’ouvre le film de Garegin Vanisian. Amour, amour blessé après la séparation, celle vécue par le personnage du film. Comment traduire la béance laissée par le départ de l’être aimé ? C’est au moyen d’une seconde perte que le réalisateur met en scène la rupture amoureuse : celle de l’actrice qui se refuse au film et oblige celui-ci à se réinventer. En place des séquences décrites en voix off, des images vidées du corps du personnage ou encore des planches du storyboard, merveilleuses miniatures peintes à l’eau, viennent combler les trous du récit. En l’intriquant à celui du tournage, et en exhibant les artifices de ce dernier – la maquette du décor, le rail de travelling, jusqu’au casting de l’actrice – le réalisateur explore les structures du drame et rompt avec la tonalité mélancolique de son film. A l’image d’un des tatouages arborés par la magnifique Jasko Fide, c’est un film en pointillés que Garegin Vanisian dessine savamment. Et sans cacher ses inspirations : de la posture reprise à Marina Abramovic dans Nightsea- Crossing à la « séquence Chantal Ackerman », des citations de Goethe à celle empruntée à Guy Gilles : « Je croyais que la vie était un poème ». Toute la beauté et la tristesse de vivre semblent contenues dans cette phrase. Mais s’il s’apparente à un film sur la désillusion amoureuse – et artistique – The Heart Through Deserts Runs – Working Title reprend formidablement vie à mesure qu’il avance, à l’instar de cette femme qui apparaît à la fin, triomphante et résiliente, dans les herbes hautes. Aux absences répétées du récit, Garegin Vanisian répond par des présences toujours renouvelées, et toujours in progress.
(Louise Martin-Papasian)

Entretien de Garegin Vanisian

À la fois histoire d’une rupture amoureuse, réflexion sur la fabrication du cinéma et hommage à celui-ci, essai sur la distanciation, votre film offre plusieurs entrées et niveaux de lecture. Quelle a été votre impulsion première ?
Mes films partent souvent d’une rencontre avec une actrice ou un acteur. Un film m’est d’autant plus personnel qu’il est personnel pour son interprète. Cette fois, c’est l’actrice Jasko Fide qui m’a inspiré ce projet. La première ébauche du scénario n’avait pas grand-chose à voir avec le résultat final. La structure polymorphe du film reflète l’évolution du concept.

Le film ouvre sur La tendresse interprétée par Marie Laforêt et nous place sous les auspices de l’amour, mais derrière la candeur première apparaît très vite la dureté de la désillusion face à la rupture et à l’absence de l’être aimé. Pourquoi avoir choisi cette chanson et cette interprétation ?
Déjà, c’est une très belle chanson, et j’admire beaucoup Marie Laforêt ; mais si je l’ai choisie, c’est surtout pour la dichotomie intéressante qu’elle crée vis-à-vis du film. Le texte correspond bien à l’état d’esprit du personnage principal, à l’espoir timide auquel elle se raccroche (« Mais vivre sans tendresse / On ne le pourrait pas » ; « Pour que règne l’amour, / Règne l’amour / Jusqu’à la fin des jours ») ; mais la chanson a aussi un côté douceâtre qui contraste avec les images du film.

Le personnage du film vient de se séparer d’une femme et lit Une femme m’apparut de Renée Vivien, récit autobiographique d’une passion amoureuse, dont on entend un passage en off. Comment ce texte s’inscrit-il dans le film ? En est-il le point de départ ?
Les films de François Truffaut m’ont durablement influencé, et c’est la raison pour laquelle chacun de mes films doit comporter une scène où un personnage lit un livre, ou bien un gros plan sur un livre. J’ai découvert la poétesse Renée Vivien quelques mois à peine avant le tournage (par le biais de son formidable recueil de nouvelles, La Dame à la louve). Le récit du film doit beaucoup au vertige de la passion et au profond désespoir érotique de son œuvre.

Votre film semble suivre le motif des pointillés. Petit à petit, la rupture amoureuse se double d’une rupture dans le film ; à défaut d’en voir toutes les images, on en découvre les éléments de fabrication – de très belles planches du story board, une maquette du décor, le rail de travelling, jusqu’à la séquence finale du casting. Qu’est-ce qui a guidé le choix de ce dispositif ?
Dans un essai daté de 1965, Pier Paolo Pasolini décrit le scénario d’un film comme une « structure tendant vers une autre structure », comme une « forme tendant vers une autre forme ». Cela me semble être une aspiration et un processus des plus naturels. Pendant longtemps, j’ai essayé diverses façons possibles d’assembler et de transmettre mes idées pour ce film. Puis je me souviens avoir dit à Johanna Meyer, la décoratrice et costumière du film, en charge des storyboards, avant qu’elle ait fini de dessiner ces derniers, que nous n’avions plus besoin de tourner le film, parce qu’il était déjà « fait ». Ce sentiment était essentiel pour ouvrir la structure du film et en faire une structure intertextuelle.

Finalement, c’est dans le corps de l’actrice, sa présence et son absence, que semble se trouver le cœur du film : en même temps qu’elle est là dans le rôle qui lui est attribué, elle se retire au film, créant, par son absence, les conditions de possibilité du film tel qu’il s’offre à nous. Pourriez-vous commenter ce point apparemment paradoxal ?
Comment peut-on traduire, en mots ou en images, le sentiment d’être séparé de l’être aimé, sans doute pour toujours ? J’ai décidé que la meilleure façon d’exprimer ce sentiment de perte était de créer une autre perte.
« The Heart Through Deserts Runs – Working Title » : pouvez-vous commenter le titre choisi pour votre film ?
La première partie du titre est une citation d’un poème de Johann Wolfgang von Goethe que j’aime tout particulièrement, tiré de son recueil West-Östlicher Divan (Divan occidental-oriental), et qui est également cité dans le film par la voix off. J’ai associé ce poème au récit du film à un stade précoce du processus créatif. L’ajout « technique » au titre relevait pour moi d’une nécessité instinctive.
On peut lire sur une photo accrochée au mur « Je croyais aussi que la vie était un poème », une phrase tirée du film Absences répétées de Guy Gilles, à qui vous dédiez ce film, en plus de Marina Abramović. Pouvez-vous nous parler de leur influence sur ce film ?
Absences répétées fait partie des œuvres qui ont le plus influencé mon film. J’ai découvert ce long-métrage quelques semaines seulement avant le tournage, je l’ai montré à la chef décoratrice, à l’actrice principale, et nous avons même cité le film directement avec ce cadre. La mélancolie, l’atmosphère poétique et l’aspect ludique du film de Guy Gilles ont été une véritable révélation pour moi et pour de nombreux collaborateurs sur ce film. Cette réplique en particulier (prononcée par un personnage à la toute fin du film de Gilles) évoque avec délicatesse toute la beauté et la tristesse de l’existence. Quant à Marina Abramović, Nightsea Crossing, sa série de performances avec Ulay, a été, pour différentes raisons, l’un des premiers titres provisoires de mon film, et constitue l’une de ses premières sources d’inspiration visuelles.

Propos recueillis par Louise Martin Papasian

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Fiche technique

Allemagne / 2021 / 15’

Version originale : allemand.
Sous-titres : anglais.
Scénario : Garegin Vanisian.
Image : Hanife Koch.
Montage : Maja Tennstedt.
Musique : Thorsten Hoppe.
Son : Thorsten Hoppe.
Décors : Johanna Meyer
Avec : Jasko Fide, Pierre Emö.
Production : Garegin Vanisian.
Filmographie : Erbarmen mit den Liebenden (Pity for the Lovers), 2012. Fünfminutenfratzen (Five Minute Antics), 2012. Fernsicht (Distant View), 2009.