Valérie Massadian
Ire. Nom féminin : courroux, rage, fureur, indignation. Ire est le cri des femmes contre ceux qui oppressent, méprisent, tuent. Leurs yeux, cadrés serrés, fixent la caméra : elles nous regardent autant qu’elles nous obligent. Elles sont la multitude et scandent, depuis l’affirmation anaphorique d’un « Je suis », les violences que les femmes subissent. Dans ce film tourné en quatre langues, Valérie Massadian construit par le poids des mots et la force des regards un appel babélien à la résistance. De ces regards saisissants, il y a celui, brillant, de cette femme qui porte en elle celle qui n’est pas encore née, mais déjà en colère.
(Louise Martin-Papasian & Claire Lasolle)
- Autres Joyaux
- 2021
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- 2021
IRE
Valérie Massadian
Entretien avec Valérie Massadian
Ire est un cri collectif, qui résonne particulièrement avec le contexte actuel, où des voix de femmes s’élèvent de plus en plus contre les violences systémiques. Comment est né ce projet ?
Ces voix ont toujours été là. Seule l’écoute a quelque peu changé. J’insiste sur le quelque peu… Les voix qui arrivent à s’exprimer sont des voix de femmes plus ou moins privilégiées. Ce n’est pas péjoratif d’être privilégiée, c’est une donne, c’est tout. Le propos étant que celles qui ont la possibilité d’ouvrir des portes, les maintiennent bien ouvertes pour celles qui sont toujours laissées à la traîne. J’avais écrit ce texte il y a longtemps. À un moment où je ne savais plus quoi faire de cette colère qui est loin de n’être que mienne. Face à la surdité, au mépris, à la condescendance paternaliste et à l’acharnement du monde à faire comme si de rien n’était, je me suis dit que j’allais utiliser mon petit privilège pour le partager avec d’autres femmes.
Vous avez fait appel à un grand nombre de femmes. Comment les avez-vous choisies et comment s’est passée cette collaboration ?
Certaines sont des proches, mais j’ai rencontré la majorité de ces femmes au fil des luttes des 6/7 dernières années. Il n’y a dans ce petit film que des guerrières qui bataillent sans relâche et avec courage pour plus d’équité à tout endroit, de dignité, de décence, tout ce qui semble ne pas être très à la mode de nos jours.
Pour faire court, des femmes qui font, et pour qui, race, genre et classe sont indissociables. Le proposition était simple. ” Tu passes chez moi boire un verre, si le texte te parle tu participes, sinon tu seras venue boire un verre chez moi” Aucune n’a fait que boire un verre! Dans ce temps suspendu, ces minutes de silence à fixer l’objectif avec le texte en mémoire, il y a eu des fulgurances d’intimité très fortes et inattendues, tant par elles que par moi. Une complicité, un entendement qui n’avait pas besoin de mots. Les mots eux, ont été enregistrés après. Ça aussi, c’était troublant à faire.
Des regards de femmes face caméra et des voix qui scandent en chœur un appel, dans quatre langues différentes. Pouvez-vous revenir sur le choix de ce dispositif et des quatre versions ?
Ire au départ a été pensé comme une installation sur 3 écrans, les langues s’enchaînant les unes après les autres, ou une projection dans la rue. Il n’y a que 4 langues pour l’instant, d’autres arrivent, c’est une Ire sans fin! Je voulais que rien ne viennent distancier de la physicalité des regards qui sont à la fois anonymes et extrêmement intimes. Donc pas de sous-titrage. Chaque langue a sa rythmique, sa musicalité, son émotion. Agit dans le corps de manière différente, qu’on la comprenne ou non. Ce qui m’intéressait, c’était cette danse entre la confrontation des regards et l’incantation des mots. L’idée du FID de projeter Ire de manière aléatoire, chaque fois dans une seule langue, est à la fois très belle et très cohérente avec le geste. 6 minutes de la rétine de ces femmes à la votre, même si vous ne comprenez pas les mots, à priori donnent envie de savoir ce qui se raconte. Enfin j’espère!
« Ire » a une connotation divine – la colère des dieux mais aussi la déesse de la Colère. Pourquoi avoir choisi ce terme ancien ?
C’est le mot qui définissait le mieux cette colère ancestrale, archaïque. Passée, présente et future à la fois. Elle est notre, coule dans le sang, s’exprime ou pas, mais elle est là. C’est une colère saine qui génère pensée, énergie, mouvement, changement – tant en soi que dans son rapport au monde. Et non pas un venin propre à la haine. Il n’y a pas de haine, seule la véhémence d’appeler un chat un chat. Le monde dans lequel nous vivons, patriarcal et capitaliste, relègue le vivant au second plan, et ce d’autant plus quand ce vivant ne se plie pas à ses désidératas et dérange les normes établies. Ce n’est ni un sentiment, ni un avis politique, c’est un fait. Un fait aussi ancien que le mot Ire.
Propos recueillis par Louise Martin Papasian
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Fiche technique
France / 2021 / 6’ x 4
Version originale : anglais, arabe, espagnol, français.
Scénario : Valérie massadian.
Image : Valérie Massadian.
Montage : Valérie Massadian.
Son : Jean-Guy Veran.
Production : Sophie Erbs, Valérie Massadian (Gaïjin).
Distribution: Gaïjin.
Filmographie: Milla, 2017. Precious – part of Stephen Dwoskin’s feature film Age Is…, 2014. – Mamoushka, 2014. America, 2013. Ninouche, 2013. Nana, 2011.
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