Pendant quatre ans, munie de sa caméra DV, N. a filmé la mer le long de la Corniche de Beyrouth. Pendant ce temps, T. enregistrait des « paysages sonores » au bord des mers, océans et lacs du monde entier. Exercices solitaires, sans lendemain, ni l’une ni l’autre ne projetait de film. One sea, 10 seas est né après-coup, lorsque N., accompagnée de C., décide de faire retour sur des images et des sons qui, malgré eux, avaient conservé quelque chose des circonstances de leur prise. De quoi ces enregistrements sont- ils le reste, la trace ? Qu’est-ce qui s’est déposé dans l’image ou le son, qu’y découvre-t-on ? Le film s’écrit et se déplie dans l’écart entre deux temps. Le premier temps, visuel et sonore, est celui des traces fixées par les appareils techniques : jeux de la lumière et de l’eau, tous les états de la mer, tous les« surgissements » ou accidents produits par les limites techniques de la DV ou recueillis par la panoplie des micros. Le second temps, celui de la description, du commentaire ou de la rêverie, s’écrit à même l’image : textes bilingues imprimés sur la mer ou dans le noir, tantôt décrivant les traces, redoublant ce que l’on voit ou entend, tantôt faisant imaginer l’invisible et l’inaudible, affects, paysages et hantises déposés dans la seule mémoire. Du visuel, du sonore, du langage : il est rare qu’un film procède ainsi de la plus stricte distinction des trois dimensions du cinéma, et parvienne à les agencer enune matière si riche, joueuse, imprévisible. Tournant le dos à son pays et à l’histoire, aussi loin du journal filmé que du film structurel, Nour Ouayda trouve dans les profondeurs de l’esthétique moderne les matériaux d’une fantaisie théorique où le souvenir des études marines des impressionnistes et les derniers feux d’un sublime à la Turner coloreraient des rêves de nomenclatures et de classifications impossibles. (C.N.)
Nour Ouayda