Le titre du film nomme son cœur : trouvée échouée, il s’agit d’une boîte en os de baleine, ficelée avec du filet de pêcheur. Objet énigmatique au contenu secret, relique ou rescapé d’un mystérieux naufrage, détentrice de vertus magiques, nul ne sait sinon qu’elle a été offerte à Iain Sinclair, écrivain- cinéaste-psychogéographe, compagnon de marche d’Andrew Kötting dans ses derniers films buissonniers. Un voyage s’entreprend : rapporter, depuis Londres, cette boîte jusqu’à son lieu d’origine, une plage des îles Harris, aux confins de l’Écosse. Non pour en percer le mystère, mais pour en éprouver les puissances. En contrepoint à ce périple s’adjoindra à distance la fille d’Andrew Kötting, Eden, présente déjà dans plusieurs de ses films précédents. Car le film s’engage aussi dans un tout autre voyage. Si, comme le signale Iain, l’objet semble « de plus en plus lourd… se transforme en une autre substance », la présence d’Eden, atteinte du syndrome de Joubert, à la conscience lointaine, va façonner le film de son être impénétrable. « Que peux-tu voir ? Où es-tu ? », entend-on, murmures répétés au long du film par le père à l’adresse de la jeune femme. Depuis le plus profond de son sommeil ou parée d’une magnifique couronne de fleur et chaussant une paire de jumelle, elle en sera tout à la fois la muse, la guide et la pythie. L’occasion aussi à travers cette généreuse odyssée de quelques détours, notamment auprès de poètes disparus, Basil Bunting et Sorley MacLean ou au sculpteur Steve Dilworth. Occasion encore que, par touches successives, résonnent d’autres boîtes, d’autres mers, d’autres énigmes, d’autres baleines et d’autres quêtes, de Pandora à Moby Dick. Un film à entendre également comme un cri issu des profondeurs, une offrande et une magnifique ode à Eden, artiste, nous dit Kötting, dont « l’œuvre est enracinée dans un ailleurs. » (N.F.)
- Compétition Internationale
- 2019
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THE WHALEBONE BOX
Nous connaissons votre intérêt pour la marche et pour la performance (By Our Selves, FID 2015 et Edith Walks, FID 2017). Ici le voyage se fait avec une énigmatique boîte en os de baleine. Comment est-elle apparue ?
Quelqu’un avait donné à Iain la Whalebone Box, il y a plus de trente ans. C’est un objet très lourd, d’une magie inouïe, fait par le sculpteur Steve Dilworth. Il vit sur l’île de Harris aux Hébrides Extérieures et il avait créé la boîte à partir des os d’une baleine morte que la mer avait rejetée sur la plage. Nous avions décidé de ramener la boîte à son lieu d’origine et de l’enterrer sur la même plage. Nous avions pensé faire le parcours à pied ou la transporter dans un kayak ; mais aucun d’entre nous n’arrivait à trouver le temps de le faire ; nous l’avons donc portée jusqu’aux lieux auxquels nous étions attachés. L’île avait été frappée par une maladie : nous avions l’espoir que la boîte, et son pouvoir, puisse aider. Des choses étranges arrivaient continuellement avec cette boîte mais malheureusement son pouvoir n’a pas réussi à guérir l’île. C’est une boîte de Pandore, la boîte où le chat de Schrödinger “habite”, c’est la boîte noire des archives de l’aviation et la boîte des souvenirs et des prophéties…. La boîte est partout et nulle part.
Votre fille Eden, déjà vue dans vos films, apparaît ici comme le guide du voyage. Comment avez-vous conçu son rôle ?
La boîte avait commencé à prendre toute la place dans le film comme, en effet, Eden l’a prise dans ma vie. Elle est à la fois un obstacle et une inspiration, muse et faire-valoir, ennemi juré et navigatrice, joie et agacement. Il m’a semblé voir un lien entre les deux. Ils sont capables de vous porter autant vers de beaux paysages oniriques que vers les plus sombres cauchemars. Pendant de longues années, j’ai tenu un journal d’elle lorsqu’elle s’endormait et j’imaginais qu’elle pouvait rêver de la boîte. Elle dégageait une innocence et un air d’autre monde que je trouve captivants. Mais dans la “vraie” vie elle aime aussi se déguiser et jouer avec moi. Elle ne voit pas très loin et depuis de longues années nous utilisons des jumelles pour regarder à la fois vers l’avenir ou vers le passé. Les jumelles sont une aide et un obstacle en même temps ; une métaphore de ce que nous pouvons “voir” ; de ce qui, dans le monde, est réel ou doit être inventé. Il y a même une Whalebone box imaginaire dans ses rêves, qui trouve une sorte de “réalité” dans le film. Faite de papier, très légère, elle a sa magie propre. Eden est notre guide et notre narratrice, notre “Stalker”. Et finalement, c’est son esprit qu’explore ce voyage. Sa parole est très limitée et quelque peu idiosyncratique – ce que, suite au langage inventé dans mon film précédant Lek And The Dogs, j’avais envie d’explorer. Elle assure la plus grande partie des voix off que je traduis ensuite pour elle ; mais, comme le film, elle est insondable.
D’où vient le texte chuchoté ?
De Helen Paris, une performeuse avec qui j’ai travaillé pendant des années. Certains mots sont à elle, d’autres à moi. Elle est ‘moi’ dans le film ; c’est l’une des plus merveilleuses chuchoteuses.
Dans ce film, le personnage principal est Iain Sinclair. Comment avez-vous collaboré avec lui à l’écriture ?
La boîte est restée sur son bureau pendant presque trente ans, comme un témoin de l’écriture de Iain. Il voyait la boîte comme une batterie animale. Beaucoup des paroles du film sont tirées de ses écrits. Des sons, des images et des voix sont toutes mélangées très intuitivement dans un collage. Il n’y avait pas de budget pour le film ; tout le projet était très spontané. Mais ce film a peut-être été le plus difficile à monter pour moi depuis Gallivant, il y a presque vingt-quatre ans. Il me possédait. J’étais hanté par la boîte et elle me rendait fou…
Pendant le voyage, vous rendez visite à de nombreux poètes. Le film est aussi un hommage à l’artiste Susan Hiller. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Dans l’écriture de Iain, comme dans ma propre pratique artistique, la poésie et la philosophie ont toujours eu une certaine importance. Nous sommes allés visiter les tombes de deux des plus grands poètes en Grande Bretagne : Basil Bunting en Angleterre du Nord et Sorley Maclean en Ecosse. Nous avions envie de leur faire sentir la puissance de la boîte. Nous avons également rendu visite à la poétesse contemporaine MacGillivray, la rencontrant dans une vieille église où elle s’efforce de faire passer pouvoir de la Boîte à travers son corps pour faire sortir de ses tripes et de sa bouche le bruit le plus obsédant et dérangeant. Elle entre en transe, comme possédée par une “sirène”.
Susan Hiller était ma tutrice au Slade à Londres il y a très, très longtemps. Son intellect tranchant et son esprit critique m’ont toujours intimidé. Nous nous sommes retrouvés à l’occasion d’un festival de cinéma où elle m’avait attribué un prix pour l’un de mes films intitulé Their Rancid Words Stagnate Our Pond. Elle était très enthousiasmée par le projet The Whalebone Box. Nous nous réjouissions de rester en contact mais elle nous a quittés à peine quelques semaines plus tard…
Ma méthode est celle du collage car elle inclut des éléments du Surréalisme, de Dada et du Situationnisme comme de la “lo-fi” et du “fait maison”. C’est l’art de l’objet trouvé, mais je crois que les composantes les plus significatives sont l’accident, le hasard et la coïncidence. Il me semblait donc juste que Susan revienne dans ma vie au moment même où la sienne arrivait à son terme… mais son esprit et son inspiration sont peut-être aujourd’hui beaucoup plus forts qu’ils ne l’ont jamais été auparavant.
Propos recueillis par Nicolas Feodoroff
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Fiche technique
Royaume-Uni / 2019 / Couleur et Noir & blanc / 84'
Version originale : anglais. Sous-titres : anglais. Scénario : Andrew Kötting. Image : Anonymous Bosch, Andrew Kötting, Nick Gordon Smith. Montage : Andrew Kötting. Son : Andrew Kötting, Philippe Ciompi. Avec : Eden Kötting, Iain Sinclair, Philip Hoare, Macgillivray, Kyunwai So, Ceylan Ünal, Helen Paris, Steve Dilworth.
Production : Andrew Kötting. Distribution : Andrew Kötting.
Filmographie : Lek and the Dogs, 2018. Edith Walks, 2016. By Our Selves, 2015. Swandown, 2012. This Our Still Life, 2011. Ivul, 2009. In The Wake Of A Deadad, 2007. Mapping Perception, 2002. This Filthy Earth, 2001. Gallivant, 1996.
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