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J

Gaetano Liberti

Au fin fond de la forêt, un homme vit seul dans sa petite maison blanche. Peut-être un faux solitaire, il n’a de l’ermite que la barbe d’ermite. Par ses habitudes, de même que par son activité de cartographe, il semble appeler malgré lui la présence d’un monde autre qui ouvrirait ou complèterait le sien. Cette apparition, Gaetano Liberti la filme au détour d’un simple changement de focale. Présence douce et silencieuse, elle apparaît assise juste derrière notre homme, comme si elle avait toujours été là. Déjà, ses yeux jouent. J serait l’histoire d’un souffle entre les branches et la preuve que le soleil n’aurait jamais disparu. C’est aussi une histoire de point de vue : à quelle distance regarder ces fragments de vie qui à eux seuls justifient la totalité des jours traversés ? La solitude est un rythme fragile ; ce rythme déréglé, les connexions se défont, d’autres se créent et le temps dévoile ses gouffres. Le calme des bouleaux filmés en noir et blanc à peine s’est-il diffusé qu’une boule de billard suivie par une caméra virevoltante nous attrape aussitôt l’oeil. Au milieu de la nuit, inattendu, c’est le bleu tranchant d’une simulation de sous-marin qui surgit : d’autres espaces abstraits, peut-être vides, et qui pourtant fascinent notre personnage. Pour Gaetano Liberti, dont c’est le premier film, c’est le monde entier qui frissonne lorsque deux êtres se lient. L’ onde de choc s’étend sans jamais rechigner à dévoiler ses zones d’ombre et de déception. Lorsque les valeurs s’annulent, les regards s’oublient, J adopte un rythme nouveau mais inconscient : condition unique pour l’écriture de nos cartes intimes. (VP)

Vous avez réalisé J lorsque vous étudiiez à la Sarajevo Film Academy. Quel était votre scénario au départ ?
Le film s’inspire de la nouvelle Pénible incident tirée de Gens de Dublin de James Joyce. J’ai écrit une liste de situations avec également des éléments d’une autre nouvelle tirée du livre. Le lieu précis de la chambre avec ses objets a été le déclencheur, à partir de là, j’ai développé la façon de concevoir les plans du film. À ce moment-là, je pensais à une personne en train de faire une liste d’actions qu’elle voudrait supprimer de son quotidien. Il y avait une sensation, des notes, des cartes et quelques images précises et au final, j’avais un scénario d’environ dix pages.

En bousculant les références temporelles, le film avance par ellipses. Tout est fait pour révéler la solitude de chacun des personnages. Comment avez-vous réussi à tourner un film dans une langue que vous ne comprenez pas ? Combien de temps a duré le tournage ?
J’ai écrit certains dialogues puis nous les avons traduits depuis l’anglais vers le bosniaque. Parfois, pour d’autres parties dialoguées, je ne savais pas de quoi ils parlaient précisément, je leur avais seulement expliqué la situation et ils devaient parler sur ces bases. Je crois qu’il y a aussi eu des moments magiques entre Ado et Mediha. J’ai développé le film en deux mois environ et le tournage a duré huit jours.

Certaines parties de J sont en couleur, d’autres en noir et blanc. S’agit-il d’une inversion entre le passé et le présent ?
Au départ, je voulais faire un film en noir et blanc et bleu. Je ne sais pas s’il s’agit de passé et de présent, pour moi les couleurs interviennent plus dans le cadre de l’intimité, de la présence.

Le titre du film est une énigme. Qu’est-ce que la lettre ‘J’ évoque pour vous ?
J peut être la première lettre d’un nom, un nom incomplet et ça ressemble aussi à un point d’interrogation.

Vos personnages disent : « Chaque lien est un lien de tristesse » ou « quand on rêve, tout le monde sait… que le temps s’écoule à l’envers ». Pouvez-vous développer ?
La première phrase est tirée de la nouvelle, c’est une phrase qui peut avoir des conséquences extrêmes. La deuxième, je ne peux pas rajouter grand-chose, elle se suffit à elle-même. La plupart du temps on évoque le passé, les souvenirs façonnent le présent mais dans les rêves, il devient évident que le temps n’existe pas. Le fait que nous vivions réellement dans un rêve brumeux m’intéresse particulièrement.

Propos recueillis par Fabienne Moris

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Fiche technique

Bosnie-Herzégovine, Italie / 2018 / Couleur et Noir & blanc / RED, Mono / 44’

Version originale : bosniaque.
Sous-titres : anglais.
Scénario : Gaetano Liberti.
Image : Sigurður Möller Sívertsen.
Montage : Gaetano Liberti.
Son : Julie Rodrigue, Christian Marchi.
Avec : Ali-Adnan Grahic, Mediha Musliović.
Production : Nigel Trei Production (Gaetano Liberti).
Distribution : Altrove Films (Roberto Cavallini).
Filmographie : Where the Hornbeam Tree Is, 2015.