Votre film aborde l’expérience actuelle et historique de la Palestine par le biais de deux animaux, le rat et l’âne. Pourquoi ce choix ?
Je n’ai pas choisi deux animaux, j’ai choisi deux discours, deux représentations, deux lectures du réel à travers deux auteurs. Ce sont eux qui donnent à voir ces animaux.
D’un coté Henri Laborit et la machine de laboratoire où les rats sont objets de savoir, de science, de pouvoir et de l’autre Mahmoud Darwich observant et observé par l’âne sur la colline, l’animal subjectif, métaphore, poétique.
Vous mêlez plusieurs types de matériaux visuels et sonores, images, scènes de films ou d’émissions, archives de tournages… Quels choix ont gouverné leur sélection et leur combinaison ? Pourquoi ce choix du montage found footage ?
Tant de matériaux ont été produits autour de ces sujets : le conflit au Moyen Orient, la Palestine, Israël, la guerre, les deux états, la colonisation, les déplacements, le génocide, Jérusalem, le territoire, le sacré, etc… On peux voir le found footage comme ça, la réunion de matériaux.
Monter des signes qui ont besoin d’autres signes pour être décryptés, remettre en scène ce que d’autres ont déjà fait fonctionne aussi comme une autorisation pour moi.
Darwich est une figure qui m’accompagne depuis longtemps, d’abord par sa voix car je n’ai pas appris l’arabe enfant.
Ce n’est que très récemment qu’est venue la compréhension de son parcours, de son travail comme promesse, lutte et symptôme.
Quand j’ai découvert Laborit un déclic s’est opéré aussi. Qui est-on dans la grande roue de l’Histoire avec nos histoires personnelles ? Dans les lieux où l’on naît et qui nous assignent, nous dessinent, nous libèrent ou nous saccagent ? Le Moyen Orient réel et symbolique illustre cette conflictualité. Forcément je m’en rends compte maintenant, mais quand j’ai commencé le film, j’avais juste l’intuition qu’il y avait quelque chose à explorer entre les mots fuite et exil. À partir de là tout le propos du film s’agence.
Vous accordez aussi une place prépondérante au texte, sous forme de mot, de phrase, ou de fragment prélevé sur la page. Quels sont ces textes, et pourquoi une telle place accordée à l’écrit ?
Il me paraît évident que lorsqu’on parle à partir d’auteurs, poètes ou philosophes ou scientifiques ou chanteuse on ne peut éviter la question des textes. Et il y a aussi la rencontre ou la séparation des voix et de leur sous-titres, par exemple. (Re)partir des textes est aussi du même ordre que l’utilisation des images préexistantes.
Vous abordez l’histoire de la Palestine à travers ses deux figures culturelles les plus célèbres, Mahmoud Darwich et Edward Said. Mais l’évocation de son présent est beaucoup plus indirecte et allusive. Pourquoi cette référence centrale à l’histoire de la Palestine et à ses figures disparues ?
Concernant la Palestine, de quel « présent » parler ?
Depuis toujours, j’entends « le conflit au Moyen Orient » et « la Palestine » est là. D’autres l’entendaient déjà avant moi, alors depuis combien de générations est-ce « présent » ?
Les crises s’enchaînent. Il y a eu tant d’embrasements … tant de morts, tant de déplacés, tant d’exil, de destructions
et pourtant des figures restent. Ces figures de l’espoir et de la permanence. Je trouve que les figures convoqué·e·s dans le film représentent des voies déterminées.
Elles ne se sont jamais restreintes à « l’histoire de la Palestine » comme vous dites.
Ce travail qui m’a conduit à présenter ce film aujourd’hui a commencé bien avant « son présent » si vous faites référence à Gaza depuis le 7 octobre.
Ce film s’inscrit dans une démarche artistique où je convoque de l’universel malgré ses excès et ses pièges, dont l’orientalisme critiqué par Saïd fait partie, parce que justement ça me permet de m’extraire de l’actualité et de tenter de la retourner contre lui-même.
J’avoue être assez perplexe quant à la place que peuvent prendre les œuvres comme celle la qui ne sont que temporairement contemporaines. L’art comme outil critique m’intéresse, et au final si ce film doit avoir un rôle, c’est de nous rappeler à la pensée tout en ayant en tête que ça ne résoudra rien.
J’espère travailler à un écart, ranimer une émotion qui concerne chacun.
Propos recueillis par Nathan Letoré