Votre film se présente comme un travail collectif, la mise en commun d’images, d’histoires et de témoignages de Gaza pour élaborer un portrait du génocide vu de l’intérieur. J’aimerais que vous nous racontiez ce processus de travail collectif, en ce qui concerne les personnes qui ont filmé à Gaza ainsi que l’équipe de montage et d’écriture.
Tout a commencé après la mort de Refaat Alareer, en décembre 2023. Devant l’étendue et la durée des massacres à Gaza, je me sentais impuissante, mais je percevais un mouvement d’images différent des autres génocides restés invisibles (comme en Irak, par exemple), et que c’était donc au cinéma de poursuivre ce travail. J’ai écrit à plusieurs Gazaouis que je suivais sur les réseaux sociaux, en leur demandant s’ils étaient d’accord que j’utilise leurs images. La plupart ont accepté. J’ai constitué un stock entre les vidéos archivées depuis plusieurs mois et celles que mes correspondants à Gaza m’envoyaient. J’ai visionné près de 300 heures de génocide. Mon désir était de redonner une durée perceptible à ce qui se passait là-bas. La brièveté des reels sur Instagram ne permettait pas de comprendre réellement l’ampleur de cette violence.
Hana Albayaty, qui avait travaillé pendant plusieurs années sur le génocide en Irak, m’a aidée à comprendre les enjeux politiques et historiques. Comme la plupart des images que je recevais étaient en arabe, elle a aussi monté une équipe de traduction au Caire, pour m’aider à comprendre ce que je montais, mais aussi pour traduire certains échanges avec les Gazaouis. Fred Piet a finalisé le montage image, et il a fait un montage son très fort à partir des sons reçus. En parallèle, j’ai écrit la voix off, avec l’aide de trois amis – Christine Merville, Valérie Massadian et Oncléo – qui ont chacun laissé leurs belles empreintes dans le texte. Loupio Dolla a filmé la Méditerranée pour tracer le lien entre Gaza et nous. C’est un film totalement autoproduit, réalisé bénévolement, par engagement pour la Palestine.
La voix off et les poèmes de Refaat Alareer accompagnent les récits de Gaza, explorant sans cesse les limites de ce que les mots et les images peuvent transmettre de la tragédie. Je voudrais savoir comment la parole, l’écriture et la poésie ont participé à la composition du film lors de la phase de montage.
La voix off était pour moi la condition sine qua non pour légitimer ma place dans ce film. Je ne suis pas palestinienne, je ne vis pas à Gaza. Il était donc essentiel pour moi de parler de l’endroit d’où je suis pour monter ces images, essentiel aussi d’interroger notre regard d’occidentaux face à ces images, mais aussi face la manière dont elles nous parviennent, entre coupées par les publicités et les selfies des réseaux sociaux quand elles ne sont pas tout simplement censurées. Je pense que le cinéma devrait interroger plus souvent notre relation à ces déferlements d’images, à ce qui en perdure dans notre imaginaire.
Le film est un témoignage qui met en avant l’urgence et la force des images lorsque l’on ressent l’impuissance face à la violence du génocide. Pouvez-vous partager vos réflexions sur ce sujet aujourd’hui, alors que la brutalité perdure et les images de la souffrance s’accumulent ?
Depuis la fin du montage, la violence à Gaza n’a cessé. Le film paraît déjà dépassé. Mais À Gaza n’a jamais été pensé comme un film d’actualité : c’est un témoignage pour l’histoire, une bouteille à la mer, pour ceux qui, plus tard, se demanderont : comment survivait-on à Gaza pendant le génocide ?