Le film jouit d’une grande liberté narrative, il met en scène le « je » à travers le corps d’une actrice, la voix d’une narratrice et les mots des citations qui se croisent à l’écran. Quel a été le parcours de création de cette autofiction potentielle ?
J’avais envie d’un film « collage » qui associe le récit ultra personnel à l’Histoire, en mêlant les voix, quitte à les dissocier de leurs corps. Le choix de mon amie Jeanne Alechinsky pour interpréter la « moretta » s’est imposé, car elle est danseuse et chorégraphe. Je savais qu’elle saurait faire exister son personnage bien qu’il évolue essentiellement masqué, tout au long du film. La narratrice qui lui donne sa voix, Anne Steffens permet de court-circuiter l’aspect auto-centré du film, de créer un effet de puzzle qui accentue l’universalité de sa quête. Quant aux citations, elles renvoient à mon besoin de me documenter avant de voyager, pour chercher une connexion. À Venise, tout ce que lisais m’inspirait, cette ville du « désir » interrogeait mon propre rapport au désir.
La ville de Venise est la toile de fond du film, là où les désirs et les doutes se projettent, mais elle est aussi la sparring partner silencieuse de cette trajectoire, avec ses histoires et ses mythes. Pouvez-vous raconter en quoi a consisté votre travail avec la ville, sa géographie, mais aussi ses stéréotypes romantiques ?
Venise est la ville du tourisme par excellence, elle vit de son attraction autant qu’elle en souffre. Son histoire fascinante est elle aussi pleine de paradoxes. Ce décor sublime chargé d’Histoire(s) accompagne le personnage principal dans sa quête de plus en plus pesante de liberté. La déambulation de la Moretta suit un itinéraire plausible de touriste qui se fatigue ponts après ponts, et court après la batterie de son téléphone, sa boussole pour ne pas se perdre. Elle sillonne le Rialto, San Marco et Castello, et navigue en gondole sur le Grande Canal, jusqu’au point de bascule du film : le cimetière San Michele.
Le titre, Le fond vert, évoque le rôle de Venise comme décor de l’histoire, mais il correspond aussi au dispositif de manipulation de l’image que vous utilisez à plusieurs reprises. Cette fusion entre la ville et le décor résonne avec l’imaginaire pop vénitien tout en étant en osmose avec l’impulsion créative du film. Quelles sont les idées et les suggestions qui vous ont guidé dans la composition narrative et visuelle ?
J’aime travailler la corrélation fond/forme, pour faire « décoller » le récit. Le Fond vert, c’est la lagune, et c’est bien évidemment une référence au dispositif virtuel. Ce drap que l’on tend derrière le personnage est un effet spécial basique qui rentrait aussi parfaitement dans l’économie du film, très légère. Nous avons tourné le film en toute petite équipe à Venise : Julie Conte à la caméra, Jeanne qui jouait et moi qui prenait le son au zoom. Le titre est aussi un hommage au Rayon vert d’Éric Rohmer.
Propos recueillis par Margot Mecca