Le film commence par indiquer la date à laquelle Jean-Luc Godard nous a quittés. Très vite on voit un cigare à moitié fumé dans le cendrier : il semble avoir à peine quitté les lieux. Pouvez-vous restituer l’origine (l’impulsion) et la genèse (la fabrication) de ce film ?
Pour ma part, l’idée ou plutôt l’envie initiale, comme pour les expos, les projections vivantes, les rencontres autour de ses films, d’ouvrir la “technique” est de partager les sentiments, d’avoir vu, vécu, travaillé dans l’intimité de cette “maison de cinéma ».
Mais là, soudainement, il y eu la torpeur de son départ, le silence, l’arrêt. Le temps immobilisé à l’intérieur, et fuyant à l’extérieur.
Dans ce calme, dans le temps, l’évidence des dispositions des choses, des livres entre eux, sur les étagères, les objets, les collages et autres épinglages nous ont frappé. On voyait là les marques, des traces, les signes, et les sentiments qui l’ont habité.
Une caméra toujours en mouvement, à vitesse constante, des cadres qui très vite se resserrent sur des vues très rapprochées des objets (livres, outils, DVD), puis se resserrent encore sur des touches de peinture : pouvez-vous expliciter vos partis pris pour la composition visuelle du film, cette manière singulière de conduire la visite d’atelier ?
Éloge de l’amour se pose, se range sur 5000 ans de dettes, etc. Deux étagères, celles de deux films en chantier, Drôles de guerre et Scenario. Les associations, les films en chantier sont là, démontés. Je voulais alors me promener, comme une fourmi dans ce monde, déambuler de branche en branche dans cette forêt. Une inscription épinglée « Les années qui nous tractent jusqu’à la fin… »
« Roméo et Juliette » le cigare cubain est sur le calendrier manuscrit. En face de sa table de travail, Qu’est-ce que cela fait, tout est grâce » écrit au graphite sur le crépi, au sommet d’un collage-épinglage à même le mur, comme le « scénario » de là d’où il venait et où il allait aller. Si de haut en bas, alors cela part, en haut du cinéma, (une image de 35mm) d’images féminines, puis passe par l’amour, au cœur le regard de Roxy, puis la souffrance humaine, une fenêtre avec un couchant, une image de la mort qui s’ouvre sur une forêt de couleurs vives entourant, embrassant veillant autour d’un vieil homme etc.
Vous êtes fidèles à la leçon du maître : égalité et fraternité entre l’image et le son. Après le craquement de l’escalier en bois gravi par le visiteur, le son n’est composé que d’extraits de films de JLG. Parmi les films auxquels vous empruntez des « phrases », Eloge de l’amour et dans une bien moindre mesure Notre musique sont de loin les plus représentés. A l’image l’atelier, au son l’œuvre ? Pourquoi avoir privilégié ces deux films ?
Eloge de l’amour est le film qui ouvre le mouvement, nous disait-il avec de meilleurs mots, qui l’ont amené au Livre d’image. Humblement, nous sommes repartis de là, par quelques touches qui soudain apparaissaient entrer en accord d’intimité, celui du temps, du lieu, de la solitude et du travail. Puis Notre Musique était aussi le début de quelque chose et réapparu par bribes dans Drôles de guerres et qui par magie, par sa séquence finale du paradis, s’est marié dans une grâce surprenante, saisissante, fascinante, au paradis de couleurs vives agrafé à son mur.
Une grande douceur se dégage du film : du mouvement continu de l’image, mais aussi du choix des extraits sonores. Une douceur et un calme qui ne sont pas ceux du recueillement. Est-ce à mettre en relation avec cette idée qui revient à plusieurs reprises : qu’il y aurait l’enfance et la vieillesse, mais pas d’âge adulte ? Est-ce cette image de JLG que vous retenez et souhaitez partager ?
Donc oui, une caméra aux mouvements doux, comme nos pas chez lui. L’enfance et la vieillesse ? Non, je ne l’ai jamais vu vieux… au contraire ! Seul le corps l’était.
Propos recueillis par Cyril Neyrat