Atelier rolle, un voyage, Rolle Workshop, a Journey

Fabrice Aragno, Jean-Paul Battaggia

Suisse, 2025, Couleur, 30’

Première Mondiale

La visite d’atelier est un genre pictural porté à son sommet par Courbet dans un tableau où il résumait « sept années de [sa] vie artistique (et morale) ». C’est à cet exercice que se livrent Fabrice Aragno et Jean-Paul Battaggia, complices et compagnons de Jean-Luc Godard dans les deux dernières décennies de sa vie de cinéaste. La visite est post mortem, mais le cigare à demi consumé dans le cendrier semble attendre le retour du fumeur. Guidant le spectateur dans l’atelier de JLG, le film partage la matière et la mémoire d’une création partagée. Il le fait en toute fidélité à l’impératif godardien d’égalité entre le son et l’image : à celle-ci la matière, à celui-là la mémoire. Glissant le long des étagères, la caméra recueille sur son passage les titres de livres et de films, les noms d’écrivains et de cinéastes, matière première du montage godardien – de Penser avec les mains à L’Animal que donc je suis, de Baudelaire à Ulmer. Au son se succèdent les extraits-souvenirs de films de cette dernière période, dont de nombreuses phrases et dialogues d’Eloge de l’amour. Un dernier mouvement plonge et se perd dans la matière colorée, au plus près de la touche, donc de la main de celui qui, de l’enfance à la vieillesse sans passer par l’âge adulte, n’a jamais cessé de peindre. 

Cyril Neyrat

Entretien

Fabrice Aragno, Jean-Paul Battaggia

Le film commence par indiquer la date à laquelle Jean-Luc Godard nous a quittés. Très vite on voit un cigare à moitié fumé dans le cendrier : il semble avoir à peine quitté les lieux. Pouvez-vous restituer l’origine (l’impulsion) et la genèse (la fabrication) de ce film ?

Pour ma part, l’idée ou plutôt l’envie initiale, comme pour les expos, les projections vivantes, les rencontres autour de ses films, d’ouvrir la “technique” est de partager les sentiments, d’avoir vu, vécu, travaillé dans l’intimité de cette “maison de cinéma ». 

Mais là, soudainement, il y eu la torpeur de son départ, le silence, l’arrêt. Le temps immobilisé à l’intérieur, et fuyant à l’extérieur. 

Dans ce calme, dans le temps, l’évidence des dispositions des choses, des livres entre eux, sur les étagères, les objets, les collages et autres épinglages nous ont frappé. On voyait là les marques, des traces, les signes, et les sentiments qui l’ont habité. 

Une caméra toujours en mouvement, à vitesse constante, des cadres qui très vite se resserrent sur des vues très rapprochées des objets (livres, outils, DVD), puis se resserrent encore sur des touches de peinture : pouvez-vous expliciter vos partis pris pour la composition visuelle du film, cette manière singulière de conduire la visite d’atelier ? 

Éloge de l’amour se pose, se range sur 5000 ans de dettes, etc. Deux étagères, celles de deux films en chantier, Drôles de guerre et Scenario.  Les associations, les films en chantier sont là, démontés. Je voulais alors me promener, comme une fourmi dans ce monde, déambuler de branche en branche dans cette forêt. Une inscription épinglée « Les années qui nous tractent jusqu’à la fin… » 

« Roméo et Juliette » le cigare cubain est sur le calendrier manuscrit. En face de sa table de travail, Qu’est-ce que cela fait, tout est grâce » écrit au graphite sur le crépi, au sommet d’un collage-épinglage à même le mur, comme le « scénario » de là d’où il venait et où il allait aller.  Si de haut en bas, alors cela part, en haut du cinéma, (une image de 35mm) d’images féminines, puis passe par l’amour, au cœur le regard de Roxy, puis la souffrance humaine, une fenêtre avec un couchant, une image de la mort qui s’ouvre sur une forêt de couleurs vives entourant, embrassant veillant autour d’un vieil homme etc. 

Vous êtes fidèles à la leçon du maître : égalité et fraternité entre l’image et le son. Après le craquement de l’escalier en bois gravi par le visiteur, le son n’est composé que d’extraits de films de JLG. Parmi les films auxquels vous empruntez des « phrases », Eloge de l’amour et dans une bien moindre mesure Notre musique sont de loin les plus représentés. A l’image l’atelier, au son l’œuvre ? Pourquoi avoir privilégié ces deux films ? 

Eloge de l’amour est le film qui ouvre le mouvement, nous disait-il avec de meilleurs mots, qui l’ont amené au Livre d’image. Humblement, nous sommes repartis de là, par quelques touches qui soudain apparaissaient entrer en accord d’intimité, celui du temps, du lieu, de la solitude et du travail. Puis Notre Musique était aussi le début de quelque chose et réapparu par bribes dans Drôles de guerres et qui par magie, par sa séquence finale du paradis, s’est marié dans une grâce surprenante, saisissante, fascinante, au paradis de couleurs vives agrafé à son mur. 

Une grande douceur se dégage du film : du mouvement continu de l’image, mais aussi du choix des extraits sonores. Une douceur et un calme qui ne sont pas ceux du recueillement. Est-ce à mettre en relation avec cette idée qui revient à plusieurs reprises : qu’il y aurait l’enfance et la vieillesse, mais pas d’âge adulte ? Est-ce cette image de JLG que vous retenez et souhaitez partager ?

Donc oui, une caméra aux mouvements doux, comme nos pas chez lui.  L’enfance et la vieillesse ? Non, je ne l’ai jamais vu vieux… au contraire !  Seul le corps l’était. 

Propos recueillis par Cyril Neyrat

Fiche technique

  • Sous-titres :
    Anglais
  • Scénario :
    Fabrice Aragno
  • Image :
    Fabrice Aragno
  • Montage :
    Fabrice Aragno
  • Son :
    François Musy
  • Production :
    Fabrice Aragno (Casa Azul Films)
  • Contact :
    Fabrice Aragno (Casa Azul Films)