Votre film est une expérience autour des corps dans la nature, qui s’approchent ou s’éloignent les uns des autres. Comment ce projet est-il né ?
Comme pour tous mes films, plusieurs points de départ se sont entrecroisés pour nourrir le désir de commencer à tourner : il y avait ce parc que je connais très bien, et qui invite à réfléchir à de nombreux aspects, puisqu’il s’agit d’un espace culturel et social complexe, en perpétuelle transformation. Les scènes sont très librement inspirées des premières pages du roman Les Vagues de Virginia Woolf, où les protagonistes sont encore des enfants et trouvent un refuge temporaire dans un jardin. L’idée d’imaginer une sorte de lieu retiré, les gestes qui font signe et qui font lien, ainsi que la fragilité de ces états, m’intéressait. Et puis, il y avait aussi cette période particulière de la pandémie, qui a intensifié le besoin d’exprimer la réalité physique et la question des relations humaines – les images ont été tournées en mai 2020 et le film a pris forme au fil des années suivantes. Des années marquées par des bouleversements fondamentaux et des mutations sociales qui ont ensuite influé sur le caractère même du film.
Les tableaux préraphaélites semblent être une référence visuelle essentielle : nature luxuriante, eau, textures, fleurs… Pourquoi la nature occupe-t-elle une place aussi centrale dans votre film ?
Je n’ai pas travaillé à partir de références picturales directes, mais je suis consciente que ma manière de créer des images est toujours influencée par ce que j’ai déjà vu et par ce que je vois en général. Et le parc, bien sûr, est lui-même conçu selon une logique de références : un jardin japonais, une terrasse méditerranéenne, etc. L’esthétique y joue un rôle majeur. Certaines perspectives et compositions s’inspirent directement de ce design, voire en découlent. On pourrait considérer le parc (aussi) comme un décor de cinéma extraordinaire, et la mise en scène s’y adapte en conséquence. C’est pourquoi je dirais que ce n’est pas tant la nature qui occupe une place centrale dans mon film, mais plutôt la culture. Si l’on veut parler de nature – les plantes du parc sont des êtres vivants, il y a des animaux, et il y a nous –, je dirais que nous, humains, et tout ce que nous créons, ne pouvons jamais être complètement séparés de la nature. Nous en faisons partie. C’est une relation intime, fondamentale.
Votre film est aussi très librement accompagné par un texte parfois énigmatique, parfois proche du conte. Pourquoi avoir choisi d’inclure un texte de cette manière ?
Le texte a autant d’importance que les images, mais il fonctionne autrement. Comme s’il était raconté depuis une perspective extérieure, une voix qui en sait beaucoup plus que les personnages du film, il tisse un cadre lâche et entre ensuite en interaction avec les autres éléments – la musique, les sons, les images et les mouvements. C’est une approche poétique, qui mise sur la résonance entre les différentes composantes du film. Il reste un espace pour vous, et pour toute personne qui perçoit le film. Mon souhait, c’est qu’il reste vivant de cette manière, qu’il puisse changer d’identité, qu’il continue de vibrer différemment selon les spectateurs et les circonstances de la projection.
La musicalité et le rythme occupent une place essentielle dans l’expérience du film. Comment avez-vous travaillé le montage en lien avec la musique ?
Cela peut surprendre, mais la musique n’est arrivée qu’après que j’eus déjà monté la structure principale du film. Je savais que je voulais une dimension sonore qui puisse dialoguer d’égal à égal avec celle de l’image. Il fallait que le son ait la même force, qu’il puisse confronter les images. Une fois la musique intégrée, j’ai bien sûr affiné le montage, mais le rythme, lui, était déjà là. Et c’est probablement pour cela que cela fonctionne si bien à mes yeux – le montage et la musique que j’ai ensuite choisie étaient déjà de la même nature, ils se sont en quelque sorte trouvés. Ou bien, Nika Son (la compositrice) et moi avons réuni ce qui devait l’être.