Bruno « Ghoya » est au centre du film, où son voyage personnel s’entrecroise avec l’héritage colonial et le racisme d’état du Portugal. Tout d’abord, pouvez-vous nous en dire plus sur votre rencontre, et la relation qui vous a permis de faire de film ensemble ?
J’ai rencontré Bruno (Ghoya) en 2009, lorsque je tournais Li Ké Terra avec Filipa Reis et Nuno Baptista. Nous filmions avec une partie de sa famille. Il était en fuite, et nous sentions que ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne soit arrêté à nouveau. Même lors de cette courte rencontre, j’entendais l’urgence et la force de sa voix – il était déjà considéré comme un pionnier du mouvement Rap Crioulo. Le pouvoir que nous portions est resté avec moi.
Après ça, nos chemins ont continué à se croiser. J’ai rencontré sa mère, sa femme et sa fille. Son retour en prison a interrompu toutes ces vies. Au cours des années, par d’autres projets, surtout autour des prisons et des communautés ghettoïsées, ma compréhension de ces thèmes s’est approfondie. Quand il a été libéré, presque dix ans plus tard, j’ai enfin eu la possibilité de faire ce film. Je n’étais pas juste un cinéaste en train d’observer, j’étais investi, présent, et impliqué dans cette histoire.
Le film ouvre par une scène frappante de manifestation antiraciste à Lisbonne. La nature collective de cette lutte est évidente tout au long du film, qui représente une prise de position contre la violence institutionnelle. Comment avez-vous collaboré avec Bruno et sa communauté ?
Ce film est né d’un sentiment profond d’engagement, avec Bruno, mais aussi avec sa communauté, son histoire, et la lutte politique qu’il incarne. Je n’ai jamais eu l’intention de rester un observateur extérieur. Mon approche se base sur la construction de relations qui deviennent des collaborations. Je travaille avec la même équipe de projet en projet, ce qui crée un environnement fiable et intime pour tous. Cette continuité m’a permis de proposer des scènes et des improvisations naturelles et respectueuses.
Nous n’avons pas mis en scène ni orchestré la manifestation comme un moment symbolique. Mais plutôt, nous y avons participé. Comme Bruno, mon équipe et moi y étions – pas simplement pour capturer une image, mais pour être présents dans l’urgence et la résistance du moment. Cette expérience collective de manifestation, de deuil, et de détermination est ce qui a donné forme à la tonalité du film. La résistance collective montrée dans le film contre le racisme systémique, la négligence institutionnelle, et l’effacement social sont des situations avec lesquelles Bruno et sa communauté doivent vivre chaque jour. Ce n’est pas symbolique pour eux. Donc notre « travail » a été d’être là-bas avec eux.
Le rap en créole a un rôle central dans le film, car il représente le territoire, l’identité, la dignité, le tollé général et le soutien mutuel. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette dimension ?
Le Rap Crioulo a toujours été la bande-son de cette histoire, bien avant que COMPLÔ existe en tant que film. Dès notre première rencontre, la musique de Ghoya a incarné la vie qu’il vivait, les rues dans lesquelles il marchait, et l’oppression à laquelle il résistait. Ses paroles ne narrent pas seulement sa propre biographie mais aussi l’expérience collective de la ghettoïsation, de l’enfermement et de la survie.
La musique a été intégrale à la narration. Il ne s’agit pas d’une ambiance – il s’agit de donner un témoignage. Et dans le film, cette voix est tout. L’état brut des paroles de Ghoya, la répétition de certains refrains, et le poids émotionnel de son élocution nous a aidé à donner forme au rythme et à la profondeur émotionnelle de chaque scène. Le rap en créole est devenu un moyen de revendiquer une identité, de se réapproprier l’espace, et de relier des moments de souffrance isolés en une expression unifiée de résistance collective. La marginalisation, la fierté, la rage, la dignité, sont toutes là. Ses paroles prennent racine dans les quartiers qui l’ont vu grandir et dans la violence qui l’a formé. Il parle d’identité, d’exil, d’amour. Pour moi, c’est la clef – l’Amour est la réponse, toujours !