Quels avantages et quelles difficultés représente pour vous le fait d’être à la fois devant et derrière la caméra dans ce film ?
Être l’acteur principal de son propre film donne un point de vue privilégié à la mise en scène. Je suis au milieu du plateau, tout le monde est autour de moi, j’ai un œil direct sur ce que chacun fait. Puis, quand on tourne les scènes, je n’ai pas besoin de me demander de jouer comme ci ou comme ça : je le fais et j’indique, par mon jeu, comment je souhaite qu’on joue. Mon partenaire (Serge Blazevic) ne sait pas son texte par cœur, il improvise à moitié (on a quand même répété pour indiquer où la scène va). Donc, comme je suis son interlocutrice, je n’ai pas besoin de diriger son jeu, je joue avec lui et j’oriente la scène comme je le veux dans ma façon de jouer. Je pense que ça ne peut marcher qu’avec une toute petite équipe, où tout le monde entend et voit ce que font les autres : pas besoin d’élever la voix. J’avais une grande confiance en le type qui faisait l’image, avec qui j’avais pas mal discuté. Je n’allais jamais vérifier un cadre. Ni écouter le son. Confiance absolue. Créativité des participants.
Le film ne dramatise jamais les difficultés (santé, argent, âge) des deux personnages. Cela tient-il, selon vous, au fait que le film raconte l’histoire de deux personnes et de ses liens et non d’une seule et de son isolement ?
Oui, je ne dramatise pas parce que je ne filme que la surface du monde, je « matérialise les petites sensations », comme disait Cézanne. Je m’intéresse aux petites choses qui arrivent au présent, au mélange des points de vue : ça peut être à la fois dramatique ET comique en même temps. Je pense que ça serait la même chose si le film ne portait que sur un seul personnage : je n’aime pas trop qu’un film ne montre qu’une chose, n’ait qu’une tonalité. Sauf dans le domaine du sublime absolu (Mizoguchi ou Naruse) auquel je ne m’attaque pas encore !
Les dialogues du film sont à la fois très justes et très naturels. Étaient-ils en partie écrits ? Serge recevait-il, en tout cas, des indications sur les situations à développer à chaque moment ?
Il y avait un scénario avec des dialogues entièrement écrits. Mais quand j’ai décidé que ce serait joué par Serge Blazevic, je savais qu’il allait improviser. Je le connais très bien, donc je sais qu’il va faire des digressions. Je n’aurais pas proposé à un autre acteur d’improviser, je faisais confiance à Serge pour dire les dialogues avec ses mots à lui. Pour les filles, il n’y avait rien d’écrit et elles n’avaient pas besoin de savoir quoi que ce soit. Pour la fin, je leur avais quand même dit que je leur demanderais de raconter leur prochain film.
Je trouve très étonnant le cadre narratif dans lequel s’insère l’histoire (presque une fable) de la limace et de l’escargot. Comment vous est venue l’idée d’impliquer dans le film Pascale Bodet et Bojena Horackova, pour qu’elles racontent leurs projets respectifs de films à venir ?
L’idée des copines cinéastes, je l’ai eue d’abord parce que je voyais que je ne pourrais pas filmer dans le camion pompier, ni à l’hôpital. Je me suis dit que j’allais raconter ça à mes amies, que je vois régulièrement. On se parle beaucoup de nos films à venir, on se fait lire nos projets. L’idée de les faire intervenir trois fois dans le film est une intuition, pas une idée théorique. J’ai fait le pari que ça allait marcher de cette façon. Ces scènes n’étaient pas dans le scénario d’origine. Je fais confiance à mes intuitions (quand elles durent plusieurs jours !). J’avais envie de leur passer la main à la fin du film.
Propos recueillis par Manuel Asín