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SUSPENSION

Claire Doyon

Trois ans après Pénélope mon amour (FID2021), Claire Doyon donne des nouvelles de sa fille, jeune adulte autiste mutique. Elle le fait par le détour d’une lettre adressée à d’autres parents, responsables d’un lieu de vie où Pénélope, finalement, ne vivra pas. La lettre formule la raison de cette décision : un désaccord sur le mode d’accueil, soit de création d’un commun pour les êtres que la privation de parole empêche d’exprimer leur désir. En un réflexe appris chez Deligny, Claire Doyon interroge la bonne conscience éthique pour en révéler l’impensé normatif et retourner les questions : Qu’est-ce qu’un geste libre ? Qu’est-ce qui conditionne le moindre geste ? Qu’est-ce qui nous manque, à nous, pour être à la hauteur des gestes et de la joie de Pénélope ? Tandis qu’à l’écran, imprimés au fil des jours sur la pellicule 8mm, ces gestes et cette joie, leur éclat magnifié par le montage, imposent l’énigme de leur évidence.

Cyril Neyrat

D’où est venue l’idée du film ? D’où vient la décision d’en faire un film?

Pendant le montage de mon documentaire, Pénélope mon amour, je pensais que j’allais aborder toutes les questions qui me taraudaient autour de la différence, de l’autisme. Je voulais tout y mettre une fois pour toutes et ne plus en parler. Bien mal m’en a pris. J’ai commencé à tirer le fil d’une bobine qui n’arrête pas de s’allonger et de se rembobiner ; qui me pousse à réaliser des petits films satellites auto-produits. J’ai réalisé par ailleurs que filmer en super 8 n’était pas seulement un geste « faute de mieux, faute de temps… » comme je me le suis racontée pendant des années, mais que cela faisait partie de ma méthode de travail. Je filme en super 8, les images restent au fond d’un puits un certain temps, puis une forme de nécessité à prendre la parole me pousse à saisir le seau et à le descendre au fond du puits pour aller chercher les images. Je vois ce qui remonte à la surface sans trop chercher à les maîtriser, les couper, en laissant jouer le hasard.

Au-delà du constat ponctuel d’un désaccord, vous développez une réflexion d’une plus vaste portée : sur les gestes, la contrainte, la liberté. Pouvez-vous commenter, développer ?

La lettre que je lis fait le constat d’une attente non partagée. Plus que la déception qu’engendre ce constat, cette lettre est un prétexte pour parler des gestes de Pénélope. Je remarque que ces gestes renvoient à quelque chose d’insupportable pour les autres et pour moi aussi. Il faut toujours les interpréter, soit en faveur d’une contrainte pour les « éliminer », soit en faveur « d’un laisser faire ». Il faut toujours y mettre du sens parce que ça nous rassure. J’aime l’expression qu’emploie Deligny pour les caractériser. Il s’arrête au seuil de l’interprétation. Il parle des gestes « faute de quoi que ce soit ».
Avec SUSPENSION, j’essaye d’ausculter l’intérieur de ma psyché, d’observer la relation entre geste et relation. Je me dis que c’est ce que je vais faire, tracer au fil de l’eau, de la façon la plus verticale possible, ce qui me meut dans ce trajet de vie avec Pénélope. Les étapes. Je me sens autorisée grâce à des amis qui me disent « vas-y, vas-y ». Au moment de la fabrication du film, j’ai senti que tout était en suspens.

Propos recueillis par Nathan Letoré

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Fiche technique

France / 2024 / Couleur et Noir & blanc / 11'

Version originale : français
Sous-titres : sans sous-titres
Scénario : CLAIRE DOYON
Image : CLAIRE DOYON
Montage : FRED PIET
Son : FRED PIET

Production : CLAIRE DOYON (pas de société)

Filmographie :
1999 : Le vent souffle où il veut
2003 : Les lionceaux
2012 : Pénélope
2015 : Les allées sombres
2021 : Pénélope mon amour
2022 : It’s raining cats and dogs
2023 : Point virgule