Le film part de toute évidence d’une situation personnelle. Comment est né le choix de faire un film de cette situation ?
L’idée première était de prendre des nouvelles de ma mère et de mes proches. Partir à leur rencontre pour leur poser une question simple : « comment vas-tu ? ».
Question hantée par l’état de santé de ma mère dont on avait diagnostiqué peu avant une maladie neurologique dégénérative. Je souhaitais donc faire un film sur l’intime, avec une parole simple mais libre ; le tout en cherchant des points d’ancrage qui résonnent chez le spectateur. L’idée n’était évidemment pas de faire un film nombriliste mais de comprendre/montrer le plaisir des retrouvailles, l’importance du partage et de l’accompagnement, en l’occurrence de nos parents vieillissants. Notamment en déplaçant l’image d’un lieu comme une maison de retraite, qui peut ne pas être si lourd qu’on le croit.
Le film est construit sur un contrepoint entre différents types d’images, certaines représentant des souvenirs venant percuter le présent, d’autres au présent filmées en cadre fixe, d’autre encore le téléphone à la main… Pouvez-vous nous en dire plus sur vos méthodes de tournage ?
Le film convoque plusieurs registres d’images. Les images du récit au présent, le voyage qui me ramène à ma mère, fait seul, donc filmé sur pied, et celui de différents strates de passé, ces images d’archives. Des fragments tournés avec différentes caméras, à différents moments et qui ont jalonné l’histoire de ma mère. Des images qui sont montées de manière chronologique. Plus le film avance, plus je me rapproche de ma mère, plus elle vieillit moins elle marche. Lorsque je la retrouve, quand le passé rejoint le présent, elle est sur un fauteuil roulant. Autre type de fragments, les images mentales, issues de mon Cerveau ; elles viennent au début et à la fin du film donner une autre posture à des images réelles, elles en proposent une autre interprétation. Ce sont des images tournées de manière instinctive avec mes filles, ma compagne ou encore seul. Je voulais confronter des images très réalistes à un registre onirique, neurologique, me jouer de leurs registres.
Un autre fil rouge est le parcours par les amis et le frère. Pourquoi ce choix des rencontres en forme de points d’étapes ? Comment s’est organisé ce tournage avec ces amis ?
Le voyage est le postulat de départ. Aller voir mon frère, lui demander s’il veut m’accompagner pour rejoindre notre mère, puis, organiser des étapes… Finalement assez écrites, dont certaines sont mises en scène, provoquées dans des décors choisis. Comme le « marcheur » Pierre Felix Gravière, invité à me rejoindre en Ariège sur le chemin de Saint Jacques.
Je souhaitais multiplier les décors, les corps, pour tenter de me (re)trouver au fil de ces rencontres. Je voulais trouver un peu de calme en allant dans des univers de plus en plus sauvages, ceci avant de retrouver ma ville natale et ma mère.
Le voyage s’est organisé comme un « rallye » avec des étapes, des liaisons, des bivouacs.
Un trajet comme une sorte de fuite en avant. J’ai voulu que le film navigue sur un terrain de maladresses avec une tonalité enlevée, faisant de moi-même un personnage qui tende vers le comique, le ridicule. Un corps chahuté par des situations parfois cocasses dont je suis le seul responsable.
Le montage joue un rôle clé dans le film pour en organiser les différentes strates. Comment l’avez-vous travaillé ?
C’est le point d’écriture fondamental du film. Nous avons fait de nombreux A/R avec Sarah Derny et Fred Dubreuil (les producteur⸱ices) afin de doser les interventions des ami es et de ma mère qui, au fil des versions, a pris de plus en plus de place. Je me suis joué de la chronologie du voyage.
J’ai écrit une voix off qui narre l’évolution de mon état intérieur, l’histoire de ma mère.
J’ai mis des titres qui situent les lieux, les dates des archives. Le montage nous a permis de poser ces « étais » afin de mettre en place la narration, puis finalement de les retirer une fois que le film était là. Comme pour le soulager et faire davantage confiance aux situations et au silence, au cinéma en somme.
J’avais au départ l’idée de faire un film sur des proches qui se retrouvent et partagent une intimité. J’ai finalement fait un film sur un homme qui tente d’éclaircir son présent.
Propos recueillis par Nathan Letoré