À VENDREDI, ROBINSONSEE YOU FRIDAY, ROBINSON
À vendredi, Robinson organise la rencontre de deux figures majeures du cinéma, que la distance de l’Angleterre à la Suisse n’autorise pas mais à laquelle le montage donne lieu. Mitra Farahani a instigué un échange épistolaire : les voilà engagés à honorer un rendez-vous tous les vendredis. « Et pourquoi pas. Commençons par une correspondance. Peut-être que ça ne correspondra pas » répond le marmonnement le plus célèbre du 7ème art, celui de Jean-Luc Godard, qui compose avec Ebrahim Golestan le binôme inattendu. Chacun accepte de jouer le jeu depuis sa qualité de cinéaste. Farahani, elle, s’amuse de deux éruditions qui tout d’abord se mécomprennent. L’une, sérieuse, élabore gravement du sens tandis que l’autre, ludique, détourne avec impertinence, plus intéressée par le jeu infini des analogies. Non sans espièglerie, la réalisatrice creuse les contrastes. Quand Godard se dépêtre avec ses chaussettes, Golestan s’agace des bruits de vaisselle dans son dos. La hauteur des fenêtres et la prestance de l’escalier hollywoodien du manoir anglais s’opposent à l’exiguïté de l’intérieur suisse, au peu de goût pour l’ornement du maître des lieux. Le film va et vient entre profondeur et légèreté, effronterie et sacré. Il circule avec allégresse parmi les matières visuelles et sonores. S’arrangeant des principes godardiens, il se nimbe d’un Beethoven grandiloquent qui dramatise inopinément autant qu’il est brutalement réduit au silence. Les vendredis se succédant, le jeu de Godard se grève tandis que Golestan abandonne son sérieux. L’axiome euclidien qui veut que deux parallèles ne se rencontrent pas n’est qu’affaire de plan. Un changement de dimension et l’axiome ne vaut plus. Ainsi les deux artistes se rejoignent dans une chambre d’hôpital, forts d’une amitié naissante infléchie par le poids et l’âge de leur corps. Leurs visions, qui se contaminent l’une l’autre, finissent par se confondre dans le plaisir du jeu, à regarder ensemble le monde avec la joie et la liberté de l’enfant qui « ne demande jamais pourquoi ».
(Claire Lasolle) Mitra Farahani
Fiche technique
Version originale : farsi, français, anglais, italien, allemand
Sous-titres : français
Scénario : Mitra Farahani
Image : Daniel Zafer, Fabrice Aragno
Montage : Mitra Farahani, Fabrice Aragno, Yannick Kergoat
Son : Daniel Zafer, Fabrice Aragno
Avec : Ebrahim Golestan, Jean-Luc Godard
Production : Mitra Farahani (Écran noir productions).
Filmographie :
David et Goliath n°45, 2014
Fifi hurle de joie, 2012
Behjat Sadr : le Temps suspendu, 2007
Tabous – Zohre & Manouchehr, 2004
Juste une femme, 2001.