Quelques bâtisses au milieu de rien, puis la caméra pénètre au coeur d’une végétation exotique, luxuriante. Nous voilà à Tropical Islands, base de loisirs aux environs de Krausnick, village à 70 kilomètres au sud de Berlin, sur le site d’une ancienne base de l’aviation militaire soviétique. En ce lieu, d’une affectation à l’autre, se sédimentent les soubresauts du siècle écoulé, les stygmates et les contradictions de l’Europe : son espace mental, ses rêves, ses illusions.
Dans cet Hinterland indiqué par le titre (littéralement l’arrière pays ; pour les géographes, aire économique lié à l’activité d’un port, périphérie révélatrice), Marie Voignier déplie les mouvements de l’Histoire : le directeur des lieux, les anciens du village comme des nouveaux, tel ce jeune venu tenter sa chance et les décors de cet univers sous cloche : huttes de pacotilles, ciels peints. Et plane sur tout cela, dessinée sur un ballon blanc qui va léviter discrètement le temps du film, la reproduction d’un dessin de 1920 de Paul Klee, intitulé Angelus Novus, appui à un texte de Benjamin, rédigé dans l’urgence en 1940, qui le décrit comme l’ange de l’Histoire le visage tourné vers le passé : « Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès.»
Placer cet ange de l’Histoire en plein décor, voilà le geste qu’opère Marie Voigner, et qui donne la mesure de son ambition, discrète et incisive, intuitive et articulée.
Nicolas Féodoroff
Entretien avec Marie Voignier à propos de Hinterland, paru dans le quotidien du FIDMarseille du 11 juillet 2009