Côte à côte, deux images. Pourquoi cette division, cet écran éclaté, « splitté »? Une des raisons tient sans doute au récit lui-même. Un groupe d’anciens travailleurs immigrés issus d’Afrique de l’Ouest a décidé de retourner au Mali en 1976 pour y fonder une coopérative. Premier écart : la France (dont on verra des archives photographiques recensées par Bouba Touré, mais qui contiennent aussi, diapos sagement projetées en France, des images d’Afrique), d’une part, et le Mali, de l’autre. Second écart : sur place, il a fallu faire arriver l’eau, l’emmener d’ici vers là, et nombreuses sont les images de l’édification de ce fil d’eau destiné à relier le fleuve à la terre, la vie à la vie.
Chaque plan, de part et d’autre de l’écran, vaut bien entendu pour lui-même, et ne manque ni de précision descriptive, ni de dialectique interne (pour exemple cette séquence si complexe où des jeunes femmes sortent de tonneaux bariolés des livres consacrés à l’Afrique et en égrainent les titres), encore moins d’exactitude formelle. Mais l’affaire se redouble, comme de juste, dans le vis-à-vis. Car alors c’est un dialogue qui s’instaure dont les règles ne sont jamais fixes. Nous inviter au déplacement, au décentrement d’une image à l’autre, d’un contexte à l’autre, d’une action à l’autre, et au réglage mobile de nos interprétations, voilà l’ambition de Raphaël Grisey, qui, fidèle à l’esprit subtil de ces films précédents, offre de l’Afrique un portrait bien rare.
Jean-Pierre Rehm