Son précédent film, 1937 (FID 2007), l’indiquait sans équivoque : Nora Martyrosyan est préoccupée de mémoire. Mieux : de la transmission de la mémoire, transmission générationnelle, partage concret, affectif. Comment le récit d’une vie est offert, se déplie, se récite et passe ailleurs, dans une autre vie. Comment une existence se rend-elle complice d’une autre.
Si 1937 agrégeait en deux volets distincts des éléments épars de la petite histoire à la marche de la grande terreur stalinienne, le mouvement est ici inversé. C’est une femme, d’abord, une grand-mère, qui raconte par le menu sa biographie, et celle de sa famille, tout particulièrement leurs migrations forcées, d’est en ouest et du nord au sud du pourtour méditerranéen. C’est un adolescent ensuite, qui ne parle pas, mais qui parcourt les espaces évoqués, y joue au ballon ou simplement s’y promène. Elle est la voix du passé, qui trouve même la force de rejouer une scène de rencontre en un bouleversant baiser ; il est le corps du présent, innocent, spectateur des espaces qui l’entourent. Comme l’écrit la réalisatrice elle-même : « dans ce face à face d’une Histoire recomposée par ses fragments et d’une histoire en devenir, la mer, entre ces deux destinées, sépare et rassemble. » La mer, en effet, c’est le gage dans ce film d’une matérialité têtue, sensible, sensuelle, mais aussi le rappel rythmé d’une complicité toujours entretenue avec l’exil.
Jean-Pierre Rehm