On sait la fascination qu’exercent les espaces institutionnels sur le cinéma documentaire : hôpitaux, institutions judiciaires ou scolaires. De ces milieux clos, microcosmes ou métaphores du pouvoir en acte, on s’exerce d’ordinaire à en décortiquer les ressorts, à en explorer les méandres. Avec Commissariat, second volet après Flics (2006), Virgil Vernier et Ilan Klipper déplacent pourtant l’accent. On n’apprendra que peu sur le quotidien routinier d’un commissariat, pas plus glorifiée que fustigée. Pas non plus de plongée dans ses rouages administratifs. L’enjeu est ailleurs.
Tourné dans l’ordinaire d’un commissariat d’une paisible agglomération de Rouen, c’est une comédie humaine qui se joue. Loin de tout misérabilisme, sans pathos ni spectaculaire, dépassant le pittoresque ou l’héroïsme, mais non dénué d’humour. Petits délits, conflits de voisinage, où le grotesque côtoie l’absurde, drames ou mélodrames familiaux échouent dans ce lieu devenu l’ultime théâtre où parler, où questionner. Se croisent alors les récits les plus divers, sans oublier les confidences entre policiers qui abondent eux aussi à l’épaisseur romanesque. Délestés de toute tentative d’explication, s’y déplient les multiples jeux de l’aveu, de la séduction, du regret, de l’autorité. Les cinéastes manipulent la loupe : la rigueur du dispositif, alternance de plans fixes aux très rares contrechamps, évite l’illusion naturaliste du dialogue. Nous voilà du coup promenés d’une scène à l’autre, en fourgonnette ou au bureau, obligés de ces visages d’où sourd un verbe qui déploie tour à tour son désarroi, sa grandeur, la panoplie au complet de la tragi-comédie.
Se dessine alors, peu à peu, le portrait bousculé d’une société où la parole se tord et se distord, en un tableau hallucinant de la folie ordinaire, ici et maintenant.
Nicolas Féodoroff