La protagoniste, Gabriela, cherche son chien Porro, prétexte très concret pour aller d’un endroit à un autre et glaner des scènes quotidiennes. Comment le projet est-il né ? Où se déroule Volver a recorrer las mismas calles (Repasser par les mêmes rues) ? Qu’est-ce qui vous intéressait dans le territoire que vous avez traversé ?
J’adore les chiens, j’ai donc voulu les filmer. Tout vient de là. Au Chili, il y a énormément de chiens errants, partout. Je voulais aussi essayer de construire une histoire qui donnerait à voir la beauté des quartiers où vivent ces chiens errants, leurs coins de rue, leurs ruelles, le soleil qui tape l’après-midi et les gens, les voisin.es. Chercher un chien perdu, c’est exactement ça, un prétexte pour cette quête d’images. Je voulais tourner dans le quartier de ma grand-mère, où j’ai vécu presque toute ma vie, mais nous ne vivons plus dans la même ville et il était très difficile de filmer là-bas. Nous avons donc décidé de tourner à San Ramón, le quartier de Mariana, la productrice du film. On ne pouvait pas tourner n’importe où : le sentiment d’appartenance était crucial pour pouvoir développer les notions de liberté, d’affection et de respect, et les transmettre en images.
La protagoniste retourne dans ce quartier avec une touche de nostalgie et ne retrouve pas son chien. Pourquoi cette figure du chien, plus précisément celle d’un chien errant ? Que symbolise-t-elle ?
Au Chili, les chiens errants sont tout un symbole ; d’ailleurs l’une des figures les plus représentatives de la révolte populaire de 2019 était un chien errant. Le « negro matapacos » [le chien noir tueur de flics] représentait le peuple, sa force et sa loyauté. Et, en général, c’est aussi le sens que les chiens errants ont pour moi. Ils nous accompagnent et se livrent corps et âme après une simple caresse, c’est très fort. Cela s’exprime également par l’amitié que Juana offre à Gabriela en l’accompagnant toute la journée.
La caméra adopte les errances du chien, elle cherche dans la rue, joue les intrus à l’intérieur. Les rues sont même filmées à hauteur de chien. Pourquoi et comment construisez-vous ce point de vue ?
Je voulais filmer la beauté des coins de rue, je voulais me donner la liberté d’emmener la caméra se promener, peu importe où, qu’elle puisse se perdre et errer, sans se presser, contrairement aux protagonistes, qui ont un but, un endroit où aller. Ce point de vue vient de là : cette histoire parallèle, pour ainsi dire, est celle des chiens.
Le film se déplace très librement, échappant à tout enjeu narratif ou scénario, la recherche du chien perdu prenant la forme d’un simple élan. Quelle méthode avez-vous adopté pour le montage ?
C’est drôle que vous posiez cette question, parce que nous avons précisément monté le film en chiens perdus. Nous avons dû emprunter une foule d’itinéraires bis parmi quantité de chemins possibles, associer et dissocier les prises à maintes reprises. L’équipe s’est agrandie. J’ai tout d’abord monté avec Linda Cartes, puis avec Valeria Hernández et Carolina Moscoso. À nous toutes, nous avons trouvé un sens et un style narratifs particuliers, car cette histoire pouvait être contée de bien des manières, en termes d’ordre et de forme. Je voulais donner la même portée et autorité aux scènes tournées du point de vue des chiens qu’aux scènes narratives, de fiction plus classique. Grâce au montage, il s’agissait surtout d’échapper au récit d’une histoire linéaire, de bifurquer vers des lieux inattendus.
Volver a recorrer las mismas calles est une explosion de couleurs. Comment avez-vous travaillé avec Niles Attalah sur l’étalonnage ?
Je voulais que le film ressemble à un chaud après-midi de printemps. J’ai donc proposé de considérablement aviver les couleurs. Diego Seye, l’étalonneur de Diluvio, a fait du très beau travail sous la supervision de Niles Attalah et la coordination de Coni Maldonado. C’était une équipe exceptionnelle.
En termes de conception sonore, nous avons travaillé avec Mercedes Gaviria. Il s’agissait de garder le quartier aussi vivant que possible, en soulignant les sons qu’on entendrait si on se taisait et qu’on écoutait attentivement : le vent dans les feuilles, les flaques d’eau, les ailes d’un oiseau.
Entretien mené par Claire Lasolle et traduit par Ewen Lebel-Canto