• Compétition Flash

VOLVER A RECORRER LAS MISMAS CALLES

RETRACING THE SAME STREETS

Beatriz Arias González

Gabriela a perdu son chien Porro et le cherche, aidée d’une amie d’enfance. La trame est simple comme bonjour, beau prétexte scénaristique pour partir à la rencontre d’un quartier populaire au Chili dont Beatriz Arias brosse le portrait éclatant de couleurs, en quelques traits sensibles, vifs et précis. L’empathie que l’on peut ressentir face au désarroi de la protagoniste principale reste au second plan tant la figure du chien perdu et le cinéma partagent ici en bonne entente et avec allégresse un même mouvement : la divagation. Certes, Porro manque à l’appel. Mais à en croire le point de vue canin qu’invente Beatriz Arias, Porro est heureux, revenu à la souveraineté de ses plaisirs vagabonds que sont fouiller des poubelles ou chahuter un chat. Et c’est ainsi que la caméra (et le spectateur), libérée de tout enjeu narratif, peut se laisser aller elle-même à fouiller les rues, s’immiscer dans les intérieurs. Et cueillir la grâce molle de deux jeunes femmes qui échangent un ballon sur un terrain de foot sous un plein soleil. Celle des bras ronds d’autres femmes qui préparent des tartes dans une petite cuisine. Celle des sourires qu’une soirée bingo réunit autour de grandes tablées mélangées. Voilà une attention tendre et sincère portée aux gestes simples comme aux gens, dans laquelle se loge aussi une nostalgie. Que cette dernière soit de l’enfance ou d’une plénitude immémoriale, ce qui semble recherché dans Volver a recorrer las mismas calles n’est finalement pas tant un chien que la façon d’être pour saisir la poésie fragile et vibrante de l’instant. Beatriz Arias compose une ode au stray dog, et ce faisant à l’errance, seule à même de nous mettre sur le chemin de la rencontre et de la joie, des surgissements aléatoires « en avant de nous-mêmes ».

Claire Lasolle

La protagoniste, Gabriela, cherche son chien Porro, prétexte très concret pour aller d’un endroit à un autre et glaner des scènes quotidiennes. Comment le projet est-il né ? Où se déroule Volver a recorrer las mismas calles (Repasser par les mêmes rues) ? Qu’est-ce qui vous intéressait dans le territoire que vous avez traversé ?

J’adore les chiens, j’ai donc voulu les filmer. Tout vient de là. Au Chili, il y a énormément de chiens errants, partout. Je voulais aussi essayer de construire une histoire qui donnerait à voir la beauté des quartiers où vivent ces chiens errants, leurs coins de rue, leurs ruelles, le soleil qui tape l’après-midi et les gens, les voisin.es. Chercher un chien perdu, c’est exactement ça, un prétexte pour cette quête d’images. Je voulais tourner dans le quartier de ma grand-mère, où j’ai vécu presque toute ma vie, mais nous ne vivons plus dans la même ville et il était très difficile de filmer là-bas. Nous avons donc décidé de tourner à San Ramón, le quartier de Mariana, la productrice du film. On ne pouvait pas tourner n’importe où : le sentiment d’appartenance était crucial pour pouvoir développer les notions de liberté, d’affection et de respect, et les transmettre en images.

La protagoniste retourne dans ce quartier avec une touche de nostalgie et ne retrouve pas son chien. Pourquoi cette figure du chien, plus précisément celle d’un chien errant ? Que symbolise-t-elle ?

Au Chili, les chiens errants sont tout un symbole ; d’ailleurs l’une des figures les plus représentatives de la révolte populaire de 2019 était un chien errant. Le « negro matapacos » [le chien noir tueur de flics] représentait le peuple, sa force et sa loyauté. Et, en général, c’est aussi le sens que les chiens errants ont pour moi. Ils nous accompagnent et se livrent corps et âme après une simple caresse, c’est très fort. Cela s’exprime également par l’amitié que Juana offre à Gabriela en l’accompagnant toute la journée.

La caméra adopte les errances du chien, elle cherche dans la rue, joue les intrus à l’intérieur. Les rues sont même filmées à hauteur de chien. Pourquoi et comment construisez-vous ce point de vue ?

Je voulais filmer la beauté des coins de rue, je voulais me donner la liberté d’emmener la caméra se promener, peu importe où, qu’elle puisse se perdre et errer, sans se presser, contrairement aux protagonistes, qui ont un but, un endroit où aller. Ce point de vue vient de là : cette histoire parallèle, pour ainsi dire, est celle des chiens.

Le film se déplace très librement, échappant à tout enjeu narratif ou scénario, la recherche du chien perdu prenant la forme d’un simple élan. Quelle méthode avez-vous adopté pour le montage ?

C’est drôle que vous posiez cette question, parce que nous avons précisément monté le film en chiens perdus. Nous avons dû emprunter une foule d’itinéraires bis parmi quantité de chemins possibles, associer et dissocier les prises à maintes reprises. L’équipe s’est agrandie. J’ai tout d’abord monté avec Linda Cartes, puis avec Valeria Hernández et Carolina Moscoso. À nous toutes, nous avons trouvé un sens et un style narratifs particuliers, car cette histoire pouvait être contée de bien des manières, en termes d’ordre et de forme. Je voulais donner la même portée et autorité aux scènes tournées du point de vue des chiens qu’aux scènes narratives, de fiction plus classique. Grâce au montage, il s’agissait surtout d’échapper au récit d’une histoire linéaire, de bifurquer vers des lieux inattendus.

Volver a recorrer las mismas calles est une explosion de couleurs. Comment avez-vous travaillé avec Niles Attalah sur l’étalonnage ?

Je voulais que le film ressemble à un chaud après-midi de printemps. J’ai donc proposé de considérablement aviver les couleurs. Diego Seye, l’étalonneur de Diluvio, a fait du très beau travail sous la supervision de Niles Attalah et la coordination de Coni Maldonado. C’était une équipe exceptionnelle.
En termes de conception sonore, nous avons travaillé avec Mercedes Gaviria. Il s’agissait de garder le quartier aussi vivant que possible, en soulignant les sons qu’on entendrait si on se taisait et qu’on écoutait attentivement : le vent dans les feuilles, les flaques d’eau, les ailes d’un oiseau.

Entretien mené par Claire Lasolle et traduit par Ewen Lebel-Canto

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Fiche technique

Chili / 2024 / Couleur / 19'

Version originale : espagnol
Sous-titres : anglais, français
Scénario : Beatriz Arias González, Catalina Muñoz Cerpa
Image : José Cortés Medina
Montage : Linda Cartes Díaz Valdés, Beatriz Arias González
Son : Francisca Donoso Berríos, Mercedes Gaviria Jaramillo
Avec : Alejandra Mancilla, Montserrat Oteíza

Production : Mariana Osorio Araya (Mariana Osorio)
Contact : Mariana Osorio Araya

Filmographie :
“El callejón de las perras”/ (2020) / 19 min
“Volver a recorrer las mismas calles” / “Retracing the same streets”/ (2024) / 19 min