• Compétition Flash

LOS RAYOS DE UNA TORMENTA

THE RAYS OF A STORM

Julio Hernandez Cordón

Déjà dans Hasta el sol tiene manchas (FID 2012) ou Se escuchan aullidos (FID 2020), Julio Hernández Cordón expérimentait dans un esprit joueur un cinéma de récits, de lieux et de temps entrelacés. Mexico, 2022. Comment dire l’histoire, ici et maintenant ? Pour ce bref et incisif opus, il part d’un arbre. Un arbre fameux – et mal en point – qui aurait, dit-on, traversé les siècles depuis qu’Hernán Cortés, le conquistador, y aurait versé des larmes après son unique mais cuisante défaite face aux Aztèques en 1520 durant la dite Triste Nuit. Cordón, fidèle à sa manière d’embarquer ses protagonistes comme nous-mêmes dans d’imprévisibles odyssées, nous convie dans la tourmente de cette nuit aux échos multiples. Peu à peu les temps se mêlent, se fondent, avec hennissements surgis d’un lointain passé, masques, pics acérés et scooters croisant le fer. La ronde infernale des temps et des esprits, hantée, aussi joueuse que vengeresse jusqu’à un final inattendu, convoque autant les populaires série B que les formes d’un cinéma des débuts. En un joyeux jeu de rôles, de palimpseste et de renversements, cette contre-histoire subversive donne corps aux vaincus d’aujourd’hui. D’où le parti pris de la situer dans un des quartiers les plus anciens et les plus emblématiques,Tepito, où se joue une tout autre bataille, non moins violente. Question d’histoire, de reconquête, par le récit et les images : facétie sérieuse dans une ville où la violence perdure, comme une survivance de celle, originelle, de la conquête.

Nicolas Feodoroff

Au début du film, vous annoncez que vous voulez parler de la ville (où vous vivez) et de ses arbres. Vous finissez par vous concentrer sur un arbre en particulier, ce qui ouvre une nouvelle perspective, et nous permet de retracer l’histoire de la colonisation. Pourquoi avez-vous choisi de décrire ce mouvement ? Selon quelle nécessité ?

Enfant, mon père me racontait l’histoire de l’arbre de la Triste Nuit, où les Aztèques ont vaincu les Espagnols et les ont fait pleurer. J’y emmène mes ami•e•s ou mes partenaires au cours de nos promenades à vélo. La ville de Mexico compte plus de 700 ans d’histoire, et ses habitants ne réalisent pas que chaque coin de rue regorge de centaines de récits oubliés. Des événements ont marqué certains sites clés et ont construit notre pays. Lorsque je me rends en Europe, je suis bouleversé de me trouver dans des lieux où l’on s’est battus pour des idéaux, ou sur les pas d’artistes que j’admire. Couper des arbres à Mexico, ce n’est pas seulement une attaque contre l’écologie, mais aussi contre l’histoire, le droit à l’ombre, aux oiseaux, à l’air frais et à la pluie en ville. Les gens s’embrassent sous un arbre. Plutôt que l’essence de nos cités, le ciment n’en représente que la surface.

Vous avez choisi de situer une partie du film dans le quartier de Tepito, dont la renommée n’égale que la complexité. Pouvez-vous expliquer cette démarche ?

Tepito est le secteur le plus belliqueux de la ville, le plus chaud, et l’un des plus anciens. Le marché aztèque se trouvait dans le quartier de Tepito, célèbre pour ses boxeurs, ses footballeurs et ses artistes populaires, pour la danse et la cumbia, son autogestion, ses liens communautaires, son organisation populaire, sa rébellion, et aussi sa mafia locale. Actuellement, les adolescent•e•s de Tepito sont connu•e•s pour leur goût pour le reggaeton, les scooters d’origine chinoise, le vol et le deal de drogues. Ils prennent possession d’une ville qui leur appartient depuis plus de 500 ans. Je me suis dit que si les Espagnols, les Gringos, les Français ou les Russes envahissaient la ville de Mexico, la résistance viendrait logiquement de Tepito. Je les ai donc invité•e•s. Mais dans le film, je voulais qu’ils soient les envahisseurs, simplement parce que le brun de leur peau est plus clair.

Dans vos films, vous laissez une place conséquente à la collaboration. Comment avez-vous travaillé avec les protagonistes ?

Nous avons réalisé le film sans scénario. Les dialogues sont souvent tirés de leur propre vie, je me suis contenté de leur poser des questions, et leurs réponses sont devenues répliques.

Comment avez-vous utilisé la multiplicité des voix off et la complexité de la bande-son pour créer plusieurs niveaux de narration ?

Pour moi, le son constitue une narration. Les mots, les sons, la musique créent des atmosphères. Nous avons tourné le film avec peu de lumières, seulement deux, je crois. Le choix des lieux de tournage et la conception sonore créent l’atmosphère. J’ai rassemblé des images, et lors du montage j’ai pris des notes vocales sur mon téléphone portable, expliqué mes motivations, et j’ai pu affiner ou suggérer narrativement d’autres aspects des entretiens.

Les registres cinématographiques sont très variés, et l’on passe de l’un à l’autre, parfois subrepticement, pour obtenir une sorte de film de série B asiatique, pour reprendre vos propres mots. D’où vient votre intérêt pour cet enchevêtrement des styles d’écriture ?

Plus jeune, j’étais fan de « Où est la maison de mon ami ? » de Abbas Kiarostami et des films de John Woo. De prime abord, ces films ou ces styles semblaient certes opposés, mais à mon sens ils partageaient une poésie très particulière, une mélancolie omniprésente. À mes débuts, ces deux types de cinéma m’attiraient. Et aujourd’hui encore, ce mélange m’enthousiasme. Le cinéma m’a toujours semblé constituer la meilleure école pour apprendre, de l’autogestion à l’expérimentation.

Traduit de l’espagnol et de l’anglais par Ewen Lebel-Canto

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Fiche technique

Mexique / 2023 / 22’

Musique : Alberto Torres
Avec : Cecilia Gonzales, Armando Aragon, Jesus Antonio, Hubert Cortes, Fryda Rodriguez, Alexis García, Erick García, Geovani Escamilla, Elena García, Luz María Méndez, Paola Ortiz, Antonio Rivera, Nahum Arias, Enrique Ortiz Garcia

Production : Claudio Zilleruelo Acra (Taller Triton), Julian Antuñano (Taller Triton ), Mario Antuñano Olvera (Taller Triton), Salvador Corrales Ayala (Universidad de la Comunicación), Julian Antuñano